Vanessa Barbara est journaliste brésilienne. La rentrée littéraire est l’occasion de découvrir son premier roman Les Nuits de laitue, chez Zulma.
Il y a des romans dont les incipit restent longtemps en tête ; Les Nuits de laitue est de ces titres. « Lorsqu’Ada était morte, le linge n’avait même pas eu le temps de sécher ». Voilà l’accroche de ce drôle de roman, accroche qui annonce bien la couleur !
C’est l’histoire d’Otto et Ada, 58 ans de mariage heureux, une maison jaune perchée sur une colline dans un quartier plutôt tranquille, une passion commune pour le chou-fleur à la milanaise, le ping-pong et les documentaires animaliers, un voisinage haut en couleurs.
Il y a Iolanda et ses chihuahuas hystériques ; Mariana, anthropologue amateur qui attend son mari toujours par monts et par vaux ; Aníbal, facteur fantasque qui confond systématiquement les destinataires afin de favoriser le lien social ; M. Taniguchi, centenaire japonais pour qui la Seconde guerre mondiale n’est pas finie (directement inspiré par le soldat Hirō Onoda qui a continué la guerre, seul, jusqu’en 1974) ; Nico, préparateur en pharmacie obsédé par les effets secondaires indésirables. Ada participe activement à la vie du voisinage, allant aux réunions de quartier, aidant les uns et les autres, distribuant à tout va du chou-fleur à la milanaise. Otto, de son côté, moins sociable, lit passionnément des romans noirs, regarde des émissions de faits divers, combat les insomnies à grandes gorgées de tisane de laitue et soupçonne son voisinage de ne pas tout lui dire.
Mais voilà qu’un matin, Ada meurt. Pour Otto, c’est la fin du monde. Le voilà prostré sur son fauteuil, emmitouflé dans sa couverture à carreaux, bien décidé à rester dans la maison, emplie de la présence d’Ada. Cette fois, c’est sûr, les voisins cachent quelque chose : ils sont peut-être tous de mèche et ont comploté pour assassiner une Ada trop fouineuse ? Otto en est persuadé. Mais comme il ne veut pas sortir de chez lui, il en est réduit à inventer la vie des voisins à partir des bruits qu’il perçoit. Autour de lui, les voisins continuent leurs bizarreries qui, mises bout à bout, sont en effet assez étranges.
Mais la loufoquerie fonctionne et l’ensemble est extrêmement drôle ! On rit du fossé entre les ambitions de Nico (devenir un nageur international) et son obsession pour les effets secondaires, de la bataille des voisines contre les cafards ou des petites idées fixes d’Otto. Au fond, Otto n’est qu’un vieil homme déboussolé par la perte d’un être cher et qui a du mal à faire son deuil. Le roman est truffé de petites trouvailles cocasses, tant dans les dialogues que dans les portraits ; c’est d’ailleurs la galerie de personnages qui fait tout le sel de l’histoire. Ceux-ci, tous plus hauts en couleur les uns que les autres, sont extrêmement attachants. On compatit pour Otto, dont la torpeur traduit une douleur intense. Les autres, bande de joyeux lurons, sont attachants dans tout l’étendue de leur bizarrerie.
A cette étrangeté agréablement légère se mêle un certain suspense : car, à force d’être persuadée que sa dulcinée a été victime d’un assassinat, Otto présente de plus en plus d’idées sensées, qui sèment le doute dans l’esprit du lecteur. Et le pire, c’est qu’il n’a pas tout à fait tort : on lui cache bien quelque chose !
Longue méditation mélancolique sur la perte d’un proche, Les Nuits de laitue est un roman étrangement réjouissant : les recherches d’Otto le font immanquablement penser à Ada, virevoltante et joyeuse, dont il convoque sans cesse le souvenir. La petite enquête d’Otto s’intègre parfaitement à l’ambiance particulière du quartier et, si les révélations sont moins fracassantes que ce à quoi on aurait pu s’attendre, c’est pour mieux servir cette atmosphère. Malgré une petite baisse de rythme sur la fin, c’est avec un grand sourire que l’on referme ce titre. À noter sur la liste des romans feel-good !
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