Sorti dans les premières salves de la rentrée littéraire 2015, Le Français de Julien Suaudeau fait malheureusement tristement écho à l’actualité : l’auteur s’est mis dans la tête de ces Français qui partent au Syrie faire le djihad, avec un talent indéniable. Il montre comment peu à peu on peut se laisser embrigader, comment un garçon comme des milliers d’autres peut du jour au lendemain devenir un bourreau…
Le narrateur vit à Evreux, où il a une vie sans saveur, plutôt terne. Le nouveau compagnon de sa mère le bat, il n’a pas vraiment d’amis, et son travail est monotone. Il s’ennuie, rêve d’ailleurs et d’amour et pense que rien ne lui arrivera jamais. Pourtant, quelque chose arrive, justement, et le met sur la route d’une nouvelle vie. Le narrateur s’envole pour Bamako, au Mali, et fait les mauvaises rencontres. Avant même qu’il ne s’en rende compte, le voilà dans une forteresse djihadiste.
Que se passe-t-il dans la vie de ces jeunes garçons qui plaquent leur vie bien rangée en France pour partir semer la mort au nom d’un idéal corrompu ? Comment se font-ils manipuler, convaincre ? Le lecteur suit le cheminement du narrateur pas à pas, de la banlieue dortoir sans âme où il vit aux sables du désert où il deviendra un meurtrier. Il découvre le vide et les horizons bouchés qui constituent la vie du narrateur. A la base de la décision du personnage, il y a trois choses, universelles : l’ennui, la peur, une déception amoureuse. Le narrateur broie du noir : il ne peut imaginer d’améliorations de sa vie s’il reste à Evreux. Il craint les autorités, car il s’est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment : en réalité, il ne risque très probablement rien, mais la peur est bel et bien présente. Enfin, il espère obtenir l’affection de la belle Stéphanie, mais connaît un échec particulièrement vexant. Le désespoir sourd du moindre de ses mots. Le besoin de faire partie intégrante d’une communauté le hante. Et quel meilleur terreau pour l’extrémisme ?
Le personnage est désorienté, et se retrouve embrigadé totalement malgré lui. Il n’y a pas de grande révélation, tout se fait peu à peu : le lecteur sent bien que le piège se referme, mais le narrateur n’a pas la présence d’esprit de fuir. Bien que sceptique, en proie au doute, il se laisse entraîner : c’est plus simple que de refuser, de se battre. Puis, subitement, il est trop tard : toute retraite devient impossible. Le dernier tiers du roman voit l’histoire basculer brusquement : la violence devient alors omniprésente. Impossible de lâcher Le Français à ce moment-là ! On ne peut sortir indemne de ces pages : horrifié, le lecteur veut absolument savoir ce qui va advenir du personnage…
Julien Suaudeau nous livre un roman inclassable, douloureusement actuel, et mené d’une main de maître. Le lecteur se prend une belle claque…
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