ROMAN ENQUÊTE — L’auteure, Anna Matveeva, s’inspire d’un fait réel pour écrire ce roman. L’héroïne Ania est une jeune auteure qui se bat pour faire publier son roman à tout prix. Son voisin, Emil Sergueevitch, un vieil homme, meurt subitement et lui lègue un épais dossier. Ce dossier l’intrigue et va lui servir de base pour un nouveau livre. A partir de ce moment là, deux tiroirs s’ouvrent pour le lecteur : l’un nous narre la vie difficile de l’héroïne avec pour seul compagnon, son chat et l’autre dévoile une aventure mystérieuse, surprenante dans les montagnes de l’Oural.
Le premier est un récit romancé, un peu banal d’une vie peu reluisante et le deuxième, sous forme de documentaire, nous entraîne dans une expédition mortelle de huit jeunes soviétiques en février 1959. Ces jeunes Russes étaient tous de brillant diplômés et de grands sportifs. Ils ont pourtant été retrouvés en plein hiver, après une longue période de recherches, complètement déchiquetés, brûlés et ensevelis dans la neige. Que s’est-il passé sur ces pentes ? Ania va se plonger dans cette documentation très détaillée et va essayer de se forger sa propre idée sur ce qui est arrivé à ce groupe emmené par Igor Byatlov, un randonneur expérimenté qui avait à son actif des centaines de parcours difficiles.
Toute une partie du livre devient alors une série de documents alignés comme une enquête journalistique et livrée en plusieurs parties aux lecteurs. On connaît ainsi tout sur ces jeunes alpinistes qui sont devenus des héros à cette époque de l’empire soviétique. Toutes les hypothèses émises dans les journaux de 1959 défilent devant le lecteur qui en oublie presque totalement l’héroïne du roman et sa vie orientée délibérément dans le déchiffrage de cette aventure saisissante et terrible.
La romancière se livre alors à un vrai travail d’enquête et cette mise en abîme est vraiment réussie. Elle va interroger les parents des jeunes victimes. Elle soupèse les différentes idées émises sur la cause de ces morts, elle veut découvrir pourquoi ils se sont enfuis de la tente où ils dormaient, en pleine nuit. Pourquoi leurs cadavres étaient dispersés ? Contre quoi ils se sont battus ? Ce qui s’est véritablement passé dans ce col devenu “le col des cadavres” et plus tard, “le col Dyatlov”.
Anna Matveeva profite de cette recherche pour suggérer le sujet qui motive la plupart de ses romans. Elle nous laisse deviner tout ce sentiment d’injustice face à cette jeunesse immolée au nom d’un idéal inconnu, sacrifiée pour quel secret d’Etat. En effet, les suppositions au fil du déroulement de l’enquête sont multiples : explosion, tempête, attaque d’un groupe armé, animal extraordinaire, fusée, extra-terrestres… Et surtout injustice face au silence des autorités, au silence de l’Etat soviétique.
A la fin du roman, l’auteure se pose une question à travers les recherches d’Ania qui nous laisse perplexe. Ce drame, car il s’agit d’un drame dans la plus pure tradition antique, est-il une légende transformée en fable à l’intention des touristes ou la cruelle vérité d’une des nombreuses tragédies que le régime n’a pas réussi à étouffer totalement ?
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