ROMAN ADO — The Graces, ça commence un peu comme Twilight : une petite nouvelle arrive dans un lycée et découvre qu’au sein de la hiérarchie de l’établissement, il y a une famille qui se détache des autres. Il ne s’agit pas d’une simple reine des abeilles et de quaterbacks populaires, mais d’un trio sulfureux, auréolé d’une impression d’étrangeté. Ils sont surnaturellement beaux, cools et talentueux. Jusque là, rien de bien original. Puis le récit prend une tournure inhabituelle…
L’héroïne est, de son propre aveu, d’une grande banalité. Pourtant, elle attire l’attention de Summer, la plus jeune ado de la famille Grace, qui la prend sous son aile et la présente à ses aînés, les jumeaux Thalia et Fenrin. S’ouvre pour notre héroïne une période dorée : devenue populaire, forte de l’affection des Grace, elle aime l’idée de fréquenter ceux qu’elle pense être des sorciers. Amoureuse du beau Fenrin, très amie avec Summer, la narratrice est presque des leurs. Presque.
Vous avez lu Twilight. Vous pensez donc tomber face à un roman similaire, dans lequel le schéma est très simple : une famille fascinante, mais magique et dangereuse. Une adolescente normale qui tombe sous le charme du fils de la famille précitée, et réciproquement. Une idylle sous de terribles auspices, beaucoup de péripéties, mais finalement tout finit bien, et le prince charmant emmène sa belle au bal de promo et ils se jurent un amour éternel au clair de lune. Mais The Graces, ce n’est pas ça du tout, même si le début le suggère. Laure Eve ne nous entraîne pas où on l’attendrait, jouant avec les codes du genre. Les scènes convenues, qu’on sent venir à des kilomètres, n’ont pas lieu. D’autres achèvent de faire perdre la tête au lecteur. L’auteur, pourtant, avait bien semé des indices au fil du récit, mais le lecteur, trop pris par le récit, dévore les pages sans penser à les relever et à en tirer les conclusions qui s’imposent.
Il faut dire ce qui est : la narratrice n’est pas fiable. Elle ne dit pas tout au lecteur, malgré le point de vue interne. Elle lui dissimule des souvenirs, des pensées et laisse échapper des phrases sibyllines qui embrouillent plus qu’elles ne mettent sur la voie. C’est assez brillamment fait, on oublie même de se sentir trahi ! Le lecteur n’est-il pas sensé être le meilleur ami et le confident des narrateurs ? Résultat, quand arrivent les révélations, elles vous frappent avec l’intensité d’une lame de fond. Comme vous frappe le charisme magnétique des Grace. Idéalisés par les habitants de la ville où ils résident, les Grace sont à peine humains, déifiés et rendus inatteignables. De ce point de vue-là, même les Cullen l’étaient davantage, une fois que l’on arrive à pénétrer leur cercle. On ne peut totalement approcher les Grace. Quiconque s’y essaie risque de se brûler les ailes. Ils sont lumineux et solaires à ce point, surtout Fenrin, ce garçon dont la moitié du bahut est amoureux.
On dévore The Graces, pour essayer de cerner cette famille étrange et fascinante, sans comprendre avant la fin que la réelle héroïne de l’histoire, c’est bel et bien la narratrice. Ébloui par le trio Grace, le lecteur oublie la voix de celle qui, pourtant, lui conte toute l’histoire. Et ça, c’est probablement la plus grande réussite de l’auteur !
The Graces, Laure Eve. Black Moon, 2016. Traduit par Laure Porché.
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