J’étais Quentin Erschen : Isabelle Coudrier, cet auteur à suivre…

J’étais Quentin Erschen, Isabelle Coudrier, Fayard

ROMAN FRANÇAIS — Lorsque le premier roman d’Isabelle Coudrier, Va et dis-le aux chiens, est sorti à la rentrée littéraire 2011, on avait déjà pu observer avec quelle maîtrise elle avait su construire des personnages compliqués, vaguement torturés, un brin asociaux. Dans J’étais Quentin Erschen, Isabelle Coudrier suit le fil de son premier roman grâce au personnage de Quentin Erschen, complètement inadapté à la vie en société. Pour son malheur, Natacha, la voisine de Quentin, est tombée amoureuse de lui dès l’enfance. La fillette était fascinée par les enfants Erschen, orphelins qui mimaient des funérailles dans leur jardin. Ils étaient trois : Quentin, l’aîné, le plus inaccessible, drapé dans son aura tel un être irréel, Raphaël, d’un an plus jeune, affable et bien plus vivant, et la petite dernière, Delphine, rêveuse, qui couve de son regard bienveillant la jeune Natacha. Les enfants se suivent tous en âge et grandissent ensemble. Leur amitié culmine par une colocation à Paris, où ils partagent un grand appartement : Quentin, Raphaël et Natacha se lancent à corps perdu dans l’étude de la médecine, alors que Delphine se force à faire des études d’anglais, pour plaire à un père qui ne jure que par les diplômes. La passion que Natacha voue à Quentin, une fois qu’elle est devenue adulte, n’a en rien perdu de sa vigueur. La jeune fille continue à se pâmer d’amour pour un jeune homme qui n’a jamais été amoureux et n’en voit pas l’intérêt.

C’est toute la tragédie de cette jeune femme qui passe à côté de sa vie, et ne parvient à faire le deuil de son amour d’enfance : gravitant toujours dans l’orbite des Erschen, elle reste sous l’influence néfaste de Quentin, lui-même perdu dans son monde d’égoïste, jouissant secrètement de cette admiration sans bornes, alors même qu’il la maudit.

J’étais Quentin Erschen, Isabelle Coudrier, Fayard

Natacha devient presque un membre à part entière de la fratrie Erschen : elle porte à Delphine et à Raphaël de tendres sentiments fraternels, au grand dam de ses parents, qui regrettent de voir leur fille unique toujours partie en vadrouille chez leurs voisins.

Isabelle Coudrier évoque la difficulté de se défaire de ses rêves d’enfants et la nécessité, parfois, de trancher des liens affectifs qui aliènent plus qu’ils n’aident à grandir. Si Natacha avait eu le courage de ne pas suivre les Erschen à Paris, elle aurait certes considéré son amitié passée avec la fratrie avec nostalgie, mais aurait été capable d’aller de l’avant.

Le lecteur ne sait que faire de Quentin : faut-il le blâmer, le fustiger pour son égoïsme et sa cruauté inconsciente ou faut-il le plaindre pour sa froideur et son incapacité à s’adapter aux êtres humains qui l’entourent ? Est-il finalement heureux, à s’étourdir de travail tout en mettant de côté toute relation humaine ? Isabelle Coudrier parvient à construire un personnage complexe, qui ne peut laisser le lecteur indifférent, alors même que Quentin, justement, paraît indifférent à tout. A-t-il seulement un cœur ? La fin du roman laisse le lecteur songeur : serait-il passé complètement à côté du personnage ? Le roman se termine sur cette incertitude. Une chose est certaine, cependant : Isabelle Coudrier est décidément un auteur à suivre.

J’étais Quentin Erschen, Isabelle Coudrier. Fayard, août 2013.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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