DYSTOPIE — Bienvenue en Mid-Amérique, une Amérique dystopique dans laquelle une intelligence artificielle a remplacé le gouvernement et où la mort n’est plus qu’un lointain souvenir… Avec son talent coutumier, Neal Shusterman nous entraîne dans un futur aseptisé, dans lequel on peut ressusciter à foison sauf si, bien sûr, on a été glâné par un faucheur… Car dans un monde où on maîtrise le vieillissement et où on peut ramener à la vie n’importe qui, il faut bien quelqu’un pour… faire un peu de place. Ainsi est né l’ordre des faucheurs : impartiaux et bienveillants, malgré leur fonction meurtrière, les faucheurs sélectionnent leurs cibles, avant de les faire passer de vie à trépas, afin que la Terre ne soit pas trop peuplée.
Citra et Rowan sont deux adolescents qu’un faucheur a pris sous son égide : au terme d’une année de formation, l’un des deux accèdera au rang estimé (mais craint) de faucheur. Sa première action ? Glaner le perdant. La compétition est ouverte : que le meilleur gagne !
Avec Les Fragmentés, Neal Shusterman avait déjà imaginé un monde dans lequel la greffe ne recèle plus aucun mystère pour les humains, un monde dans lequel les membres humains font l’objet d’un commerce féroce, et dans lequel on peut faire « fragmenter » son adolescent récalcitrant (offrir l’ensemble de son corps au don d’organes, sympa, non ?). Cette fois-ci, il va un cran plus loin : c’est la mort elle-même que les humains ont appris à maîtriser. Dans le monde qu’il dépeint, des adolescents désoeuvrés peuvent se défenestrer pour le fun : ils savent qu’ils seront ramenés, peu importe l’état de leur crâne à l’atterrissage. En Mid-Amérique, la mort est devenue tellement dépassée que l’histoire désigne désormais cette époque révolue comme l’Âge de la mortalité, de la même manière que nous parlons du Moyen-Âge comme d’une période sombre et arriérée. Dans ce monde privé de décès naturels et, en tout cas, permanents, les faucheurs ont un rôle crucial.
Mais bien sûr, la belle mécanique est grippée. Neal Shusterman nous montre un ordre gangrené de l’intérieur, profondément corrompu, ce que nos jeunes faucheurs en herbe vont découvrir à leurs dépends. Certains faucheurs prennent en effet beaucoup trop de plaisir à exécuter leur tâche macabre…
Pourquoi c’est bien ? On retrouve bien sûr le talent de conteur de Neal Shusterman, et l’efficacité de son style. Il nous embarque en quelques pages, et, comme avec les Fragmentés, agrémente son récit d’extraits (ici, de journaux), qui donnent un éclairage toujours intéressant sur l’histoire. Si La Faucheuse est un roman un peu moins bon que Les Fragmentés (alias la meilleurs dystopie young adult de tous les temps), ce premier tome se montre extrêmement prometteur, et prouve que Neal Shusterman fourmille d’idées et que, bien loin de se reposer sur ses lauriers, il n’hésite pas à explorer de nouvelles pistes très ambitieuses. Imaginez un peu : un monde délivré de la mort. N’est-ce pas un peu dingue ?
Un des talents de Neal Shusterman, c’est la construction de ses personnages et leur évolution au fil de l’intrigue. Les deux apprentis faucheurs sont intéressants à suivre, et leurs différents états d’esprit sont retranscris avec beaucoup de maîtrise. La Faucheuse, en réalité, c’est un roman d’apprentissage audacieux, dans lequel nos jeunes héros doivent grandir et apprendre à gérer quelque chose de naturel dans notre monde, mais qui ne l’est pas dans celui du roman : la mort. On salue au passage, comme toujours avec Neal Shusterman, les seconds rôles, qui ne sont jamais plats ou inutiles.
Nous avons hâte de savoir ce que Neal Shusterman réserve à ces personnages pour la suite de cette trilogie, qui sera bientôt sur grand écran.
La Faucheuse, Neal Shusterman. Robert Laffont, 2017. Traduit de l’anglais par Cécile Ardilly.
Soyez le premier à commenter