FANTASY — Les illusions de Sav-Loar nous emmène au royaume d’Ombre, dans le même univers que L’Héritage des rois passeurs. Bien que des clins d’œil soient faits et que des liens certains existent entre les deux livres, il est tout à fait possible de lire ces deux œuvres de manière indépendante (ou dans le désordre), comme des « one-shot ».
En Ombre, les magiciennes sont persécutées et la seule solution pour survivre est la fuite. Toutes ces femmes qui naissent avec le don cherchent donc à s’échapper et à rejoindre le cœur de la forêt de Sav-Loar, où une communauté de magiciennes a réussi à s’établir en secret à l’abri des menaces. Au moment où leurs pouvoirs éclosent, les jeunes filles sont généralement traquées par les magiciens du Clos (le pendant masculin et officiel de Sav-Loar) afin d’être mises hors d’état de pratiquer la magie. Or, l’un d’entre eux engendre malgré lui une héritière qui semble surpuissante et qu’il faut donc à tout prix éliminer. Lorsque ses pouvoirs se manifestent, Bleue – c’est son nom – se trouve entre les griffes du Sker, seigneur sadique et maître d’une forteresse dont personne n’a jamais réussi à s’échapper. Avec l’aide de Fèl, et d’une poignée d’autres esclaves, elle parviendra à s’enfuir, mais au prix d’une guerre impitoyable.
Le roman s’ouvre sur un marché aux esclaves, où l’on fait la connaissance de celles et ceux qui deviendront les personnages principaux. Une troupe de soldats du Sker vient en effet acquérir de nouveaux esclaves pour leur maître : des femmes pour son harem et des hommes en bonne condition physique. Il y a tout d’abord Fèl, née libre mais réduite en esclavage par un mauvais coup du destin : elle est belle, consciente de sa beauté, un peu arrogante et très impulsive. Elle va être liée malgré elle à Bleue, une jeune adolescente abîmée par la vie, fragile et dépassée par les événements. Autour de ces deux fortes figures féminines graviteront également Tiriss, une jeune femme plus que sauvage, ainsi que les mystérieux Oreb et Guilhem. Le début est un peu difficile à appréhender car les personnages semblent de prime abord assez hermétiques : on comprend néanmoins assez rapidement que cela est dû aux épreuves traversées et non pas à un quelconque défaut de caractère. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de suivre l’évolution de ces personnages : leurs destins s’entremêlent, pour le meilleur et pour le pire. Si au début, tous semblent méfiants, froids et distants, ils vont se faire grandir les uns les autres et nous permettre de découvrir de nouveaux pans de leur personnalité à mesure que l’histoire progresse. Il y a là un vrai cheminement, une vraie évolution, ce qui permet de s’attacher réellement aux personnages, à leurs qualités mais surtout à leurs fêlures.
L’opposition homme/femme, magicien/magicienne pourrait de prime abord sembler un peu simpliste, déjà vue, mais ce serait oublier les immenses talents de conteuse de Manon Fargetton. Les problématiques abordées sont en fait bien plus profondes et pleines de sens. L’auteur nous initie entre autres à l’importance de la communication. Trop de souffrances sont en effet issues d’une mauvaise compréhension de l’autre, de cet autre qui nous fait peur. Ce livre est donc une belle leçon de tolérance sur fond de féminisme. Il est en effet difficile de présenter ce roman sans mentionner cet aspect ouvertement féministe (même si cela reste tout en subtilité dans l’écriture) : il insiste en effet sur la place des femmes dans la société, et sur le fait que finalement, pour vivre ensemble et en harmonie, il suffit d’accepter les différences entre les genres. Les femmes maltraitées dans cet univers se battent pour leur droit à exister, et s’arment de courage et de détermination. Il ne tient donc qu’à nous de se laisser porter par l’histoire ou d’établir des parallèles avec notre monde.
Enfin, on ne peut terminer cette chronique sans rendre hommage à la sublime couverture signée Magali Villeneuve. L’illustratrice a parfaitement rendu justice au cœur de la forêt de Sav-Loar avec une ambiance lumineuse et un peu elfique. Les autres lieux du roman, même s’ils ne sont pas illustrés, n’ont rien à envier au refuge des magiciennes puisque Manon Fargetton réussit à les faire surgir dans notre esprit tant ses descriptions sont justes : le palais du Sker et son ambiance des mille et une nuits, la ville caravane et son atmosphère un peu steampunk, les vieilles citadelles de pierre, les mers infestées de pirates … Manon Fargetton nous livre là une superbe fresque, entraînante, dynamique, fouillée où l’imaginaire se met au service d’une cause bien plus grande encore : un vrai coup de cœur à découvrir !
Les Illusions de Sav-Loar, Manon Fargetton. Milady, Octobre 2017.
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