INTERVIEW — Katherine Arden est née à Austin (Texas). Après une année de lycée à Rennes, elle part étudier à Moscou, avant de finir ses études en littératures française et russe au Middlebury College, dans le Vermont. Elle a vécu à Hawaï et à Briançon, avant de revenir s’installer aux États-Unis. C’est à Hawaï qu’elle se lance dans l’écriture de son premier roman, L’ours et le rossignol, qui ouvre une trilogie fantastique inspirée des contes russes et basée dans la Russie médiévale.
Oriane l’a rencontrée lors de son passage à Paris à la librairie La dimension fantastique pour la promotion de l’édition française de L’ours et le rossignol, parue aux éditions Denoël en 2019.
Pourquoi la Russie médiévale?
Katherine Arden : Après le lycée, aux USA, j’ai été vivre un an à Moscou. J’ai beaucoup aimé ! J’ai lu énormément de contes de fées, j’ai appris le russe. Je suis ensuite retournée aux USA, diplômée en russe, avant de passer un an de plus à Moscou à étudier la poésie russe. Mon diplôme en poche, je ne savais pas exactement ce que je voulais faire. Je me suis dit que ce serait amusant d’essayer d’écrire un livre. J’ai toujours aimé les livres basés sur les contes de fées et comme je sortais juste de cinq ans de russe, j’ai pensé qu’il serait intéressant d’écrire un livre basé sur les contes de fées russes. Je voulais que mon livre se passe dans la Russie historique et non dans un pays fantastique inspiré de la Russie car je voulais que cela semble réel. Mais je voulais aussi le situer avant tous les clichés et les stéréotypes que nous avons sur la Russie dans l’ouest. Le Moyen-Age, le 14ème siècle plus précisément, c’est avant les Tsars, les clochers à bulbes, le communisme… C’était un bon moyen d’aborder le sujet sans m’encombrer des stéréotypes.
De quels contes de fées vous êtes vous inspirée ?
K.A: C’est une série de trois livres et chacun d’eux est basé sur un conte de fées principal, qui est réécrit à l’intérieur de l’histoire. Ce conte de fées est une sorte de clef, de fil directeur pour le reste du livre.
Le premier est basé sur Morozko, le roi du gel ; le deuxième sur Snegurochka, la jeune fille de neige ; et le dernier utilise l’histoire de Maria Morevna, la reine guerrière.
Mais il y a aussi plein de références à d’autres contes de fées dans le texte, l’oiseau de feu, la princesse grenouille, …
Quel est votre conte de fée préféré ?
K.A: Celui du premier livre « L’ours et le rossignol », Morozko, ça a toujours été mon préféré et c’est pour ça que je commence par lui. Quand j’ai commencé à écrire, je ne savais pas la direction que je voulais que l’histoire prenne, j’ai donc commencé par réécrire l’histoire de Morozko dans le premier chapitre et j’ai comme brodé autour de ce conte de fée pour construire le reste de l’histoire.
Si vous étiez un personnage de conte de fées, lequel seriez-vous ?
K.A: Question intéressante ! Je pense que je serais surement Baba Yaga, la sorcière dans les contes russes, parce qu’elle est très cool et elle mange beaucoup ! Parfois elle mange des gens mais elle mange surtout d’énormes quantités de nourriture, et moi aussi j’aime manger ! (rires)
Comment avez-vous fait pour que vos livres (surtout les deux premiers) fonctionnent aussi bien seuls qu’en série ? Etait-ce votre choix ?
K.A: Je déteste les cliffhangers, quand le livre se termine et qu’on a juste envie de le jeter contre un mur tellement on veut savoir ce qu’il se passe ensuite. J’aime que chaque histoire ait une fin et je voulais que chaque livre ait sa propre intrigue. Mais je voulais aussi qu’il y ait une intrigue plus vaste. C’était beaucoup de travail !
Pourriez-vous m’en dire plus sur votre interprétation de la magie ? Dans vos livres, Morozko explique la magie ainsi : « Les choses sont, ou ne sont pas. La magie, c’est oublier que quelque chose a été autre chose que ce que l’on désire ». C’est assez vague, aviez vous défini un système de magie spécifique ou vouliez-vous que chaque lecteur ait sa propre interprétation ?
K.A: Intéressant. J’avais un système et il y a une anecdote derrière. C’est une belle histoire ! Quand j’avais huit ans, je jouais à cache-cache avec des amis. Je me suis cachée dans la douche et je me répétais dans ma tête « personne ne peut me voir ». Tout à coup, mon amie ouvre la porte de la douche et regarde dedans, elle n’est qu’à quelques centimètres de moi, et elle ne m’a pas vue, elle a fermé la porte et est partie. J’étais toujours dans la douche et elle ne m’avait pas vue. Je vous jure que c’est arrivé. C’était très étrange. Probablement qu’il arrive simplement qu’on ne voit pas ce qui est juste en face de nous. Mais quand j’étais enfant, je me disait que j’avais oublié qu’elle pouvait me voir, je croyais vraiment qu’elle ne pouvait pas me voir et donc elle ne m’a pas vue. Donc je voulais inventer un système de magie qui se base sur notre manière de percevoir le monde. La façon dont on le perçoit devient une réalité.
Donc, dans un sens, la magie c’est ce qui arrive quand on arrête de croire que c’est impossible…
K.A: Oui, c’est ce que je voulais faire passer comme idée.
Alors vous êtes une sorcière vous-aussi ?
K.A:Dans un sens, oui. Je pense que la plupart des femmes le sont, au fond d’elles même ou de manière plus affichée. (rires)
Dans vos livres, vous abordez également la question de l’image de la femme… Il semble que dans la Russie médiévale une femme ne peut être que trois choses : une enfant, une épouse (également une forme d’enfant) ou une nonne. Sinon, elle est forcément une sorcière. Et Vasilisa est tout ce qu’une femme ne devrait pas être à l’époque, donc c’est forcément une sorcière …
K.A: C’est lié à mon amour pour les contes de fées russes. Ils sont remplis de personnages féminins intéressants, comme Vasilisa la courageuse ou Maria Morevna la reine guerrière. Elles sont bien plus intéressantes que les princesses dans nos contes de fées qui ne font que dormir en attendant leur prince. Comme Blanche-Neige qui dort, la Belle au bois dormant…qui dort aussi, c’est d’un ennui ! (rires)
Je trouve cela fascinant car les contes russes nous présentent des personnages féminins forts et intéressants alors que, dans la Russie médiévale, les Moscovites avaient une pratique particulière, ils gardaient les femmes nobles dans un endroit nommé « Terem ». C’était soit le dernier étage de la maison, soit une tour qui leur était réservée. Elles y restaient toute leur vie. Nées dans la tour de leur père, elle n’en sortaient que pour entrer dans celle de leur mari. Je me suis donc demandé ce qui se passerait si un personnage issu des contes de fées, comme Vasya qui est un genre d’esprit des bois, se retrouvait confrontée à cette réalité historique où les femmes étaient enfermées. Comment réagirait-elle face aux options historiques qui s’offrent à elle en tant que femme ? Vasya est en quelque sorte une synthèse de la Russie historique et de la Russie magique.
Vous retrouvez-vous dans le personnage de Vasya ?
K.A: Je pense qu’en tant qu’auteur, on se retrouve dans tous les personnages qu’on crée. Vasya est bien plus forte et résistante que moi, mais je voulais créer un personnage féminin dans un cadre fantasy qui arriverait à l’âge adulte. J’ai l’impression que souvent, dans la fantasy, les personnages n’atteignent pas l’âge adulte. Ils remplissent leur mission de héros et s’en vont vers de nouvelles aventures. Mais pour moi, être une adulte signifie prendre ses responsabilités pour quelque chose de plus grand que nous.
Je voulais que Vasya trouve sa voie, gagne le droit d’être elle-même et en même temps, qu’elles prenne des responsabilités pour sa famille et son pays. J’avais donc besoin d’un personnage qui soit assez fort et brave pour endosser les ambitions que j’avais pour elle.
Dans votre deuxième livre, La fille dans la tour (sortie prévue en août pour l’édition française), vous écrivez :
« Chaque fois que vous prenez un chemin, vous devez vivre avec le souvenir de l’autre : celui d’une vie laissée en suspens »… Quelle est, pour vous, cette autre vie que vous n’avez pas choisie ? Si vous n’aviez pas été écrivain, que seriez-vous devenue ?
K.A: Je voulais devenir interprète. Il faut trois langues pour être interprète, je parlais anglais, français et russe, c’est un bon trio. Mais j’ai commencé mon livre et j’ai adoré l’écrire. C’était il y a huit ans et je n’ai jamais regretté ce choix.
C’est une série terminée en trois tomes. Avez-vous d’autres projets sur les contes russes ?
K.A: Pas pour l’instant. On me pose souvent la question. Si je devais écrire une suite, mon héroïne serait surement Maria, la nièce de Vasya. Il s’est passé un événement historique très important juste après, le fils ainé de Dimitri a été enlevé et retenu prisonnier dans le Sud. Il y est resté plusieurs années avant de disparaître mystérieusement pour réapparaître à Moscou où il a régné en tant que Grand Prince. Personne ne sait ce qu’il s’est vraiment passé. Si un jour j’écrivais un quatrième livre, je le baserais là-dessus. Mais je n’en ai pas l’intention pour le moment.
J’écris en ce moment un livre sur ma propre traduction et interprétation de contes russes. Ce sera mon prochain ouvrage sur la Russie.
Que pensez-vous de l’édition française de vos livres ?
K.A: Je l’adore. La couverture est comme une affiche de film, magnifique !
Propos recueillis par Oriane Deckers
Je conseille vivement la lecture des interprétations de contes que fait le philosophe belge Emmanuel d’Hooghvorst dans « Le Fil de Pénélope », tome I (éditions Beya).
Cordialement