12 Years a Slave : Hollywood in the cotton fields

12 Years a Slave, Steve McQueen.

Donné favori dans la course aux Oscars, avec déjà un Golden Globe en poche, 12 Years a Slave fait aussi parler pour sa violence. Un cas d’école du «film à Oscars» qui applique la recette hollywoodienne dans ce qu’elle a de meilleur et de pire. Quand Hollywood raconte l’esclavage, on obtient à la fois un très beau film sur une histoire exceptionnelle, et un réquisitoire choc contre une abomination dont la dénonciation est pourtant depuis longtemps superflue.

 L’histoire de Solomon Northup semble faite pour être adaptée par Hollywood : fils d’un esclave affranchi, il vit libre et heureux avec sa femme et ses enfants. Trompé par deux hommes qui disent vouloir l’engager comme violoniste, il se retrouve enchaîné et vendu comme esclave. S’ensuivent douze années dans des plantations de Louisiane, d’abord chez master Ford (Benedict Cumberbatch), qui se comporte correctement et a un relatif respect pour Solomon. Cependant, le contremaître (Paul Dano), raciste et en manque de pouvoir, lui fait vivre l’enfer et quand Solomon se révolte, Ford doit le vendre pour lui sauver la vie. Solomon se retrouve chez Epps (Michael Fassbender), archétype du propriétaire cruel avec ses esclaves, où il rencontre Patsey, une belle esclave dont Mme Epps est jalouse et qui subit de ce fait les pires sévices. Mais un jour, Brad Pitt arrive. Je l’appelle par son nom d’acteur à dessein, la crédibilité de son personnage étant complètement ruinée par le fait que… c’est Brad Pitt. Coproducteur du film, il apparaît pendant 10 minutes comme par hasard en cowboy libre et humaniste, le temps de faire un discours contre l’esclavage et de sauver Solomon Northup en acceptant d’écrire une lettre à sa famille pour qu’ils viennent le libérer. «If it can help you get your freedom back, then it will be more than a pleasure. It will be my duty.» (citation approximative). Brad, ce héros. Le film se termine sans surprise, sur les retrouvailles de Solomon avec sa famille (c’était la seule happy end possible, ce n’est clairement pas un spoiler).

12 Years a Slave, Steve McQueen.

NB : l’affiche italienne ci-dessous est hilarante, mais ce n’est pas une blague.

C’est évidemment une histoire aussi émouvante qu’exceptionnelle, qui ne peut pas laisser indifférent. Et cependant, peut-être parce qu’on en entend tellement parler, je n’ai pu m’empêcher d’être un peu déçue. Je pense que c’est le manque de crédibilité qui m’a le plus posé problème. Pas le manque de crédibilité de l’histoire —je suis tout à fait convaincue que la réalité était encore pire—, mais le manque de crédibilité du film lui-même. Tout d’abord, les acteurs : j’ai déjà mentionné Brad Pitt (j’en ris encore), mais Chiwetel Ejiofor ne m’a pas convaincue non plus. Il joue toujours plus ou moins sur le même registre, et sans les quelques cheveux grisonnants que l’on remarque lors de sa libération, on ne se rendrait pas compte que douze années ont passé. On s’attendrait par exemple à ce qu’il maigrisse, à ce qu’il ait l’air de plus en plus épuisé et désespéré, etc., mais il reste à peu près identique tout le long. Quant à Lupita Nyong’o (Patsey), elle a un jeu assez excessif, à part dans «la» scène de flagellation où force est de reconnaître qu’elle est très (trop) convaincante. Fassbender est excellent et Paul Dano n’est pas mal non plus, mais ça ne suffit pas.

Ensuite, surtout, le problème n°1 de Hollywood et des films «à Oscars» : l’excès. Excès dans le manichéisme, les méchants très méchants et les gentils presque saints. Excès aussi dans ce qui est montré : les hurlements, le bruit des coups, le claquement du fouet, les images choc des blessures qui ont, disons, un effet émétique mais pas pour autant purgatif. On lit derrière cette espèce de pornographie de la violence l’intention sous-jacente, la volonté de choquer et de marquer les esprits, et ce manque de subtilité se révèle assez contreproductif parce qu’il brise l’illusion cinématographique. Quant à la longue scène où Solomon Northup “échappe à la pendaison” (je fais vraiment ce que je peux pour éviter les spoilers !), honnêtement on perd foi en l’humanité au moment où tout le monde tourne les talons, pas besoin de le montrer encore pendant dix minutes… J’ai trouvé par exemple que les plans “photo de classe” qui figent les esclaves de face étaient beaucoup plus efficaces que les shows de violence uncensored, car ils donnent à certaines scènes une dimension documentaire et nous rappellent que c’est avant tout une histoire vraie. Et c’est quand même bien ça le pire.

 film 12 Years a Slave, Steve McQueen.

Mais je réalise que cet article est en train de devenir trop long. Pour résumer, un film fort mais qui pêche par excès : on en ressort nauséeux mais pas bouleversé, car à l’exception de quelques scènes, l’illusion n’est jamais assez forte pour qu’on oublie que ce ne sont que des acteurs, que ce n’est que du cinéma.

12 Years a Slave, Steve McQueen. 2h13. En salles le 22 janvier 2014.

Par Lisa

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.