Armageddon Rag : George R. R. Martin, ce n’est pas que Le Trône de fer

George R. R. Martin, ce n’est pas que Game of Thrones, la série événement de HBO, qui suscite bien des passions, et que, pour être tout à fait franche, je n’ai jamais regardée. En revanche, j’ai autrefois lu Riverdream, sorte de rencontre improbable et délicieusement jouissive entre Anne Rice et Mark Twain. De ce roman, j’ai conservé le souvenir d’un style maîtrisé et d’ambiances parfaitement rendues. C’est ce talent que l’on retrouve dans Armageddon Rag, un thriller fantastique profondément ancré dans l’univers de la musique. Le Hard Rock peuvent-ils réveiller les morts ?

C’est autour de cette question que s’articule Armageddon Rag, mais pas que ! Au centre de l’intrigue, il y a également les illusions perdues, et les rêves d’une révolution longtemps souhaitée, puis le retour, avec la fin des années 60, à une vie plus rangée. Sander Blair, dit Sandy, a autrefois été un des hippies qui manifestaient contre la guerre au Vietnam, Nixon et l’etablishment en général : sex, drugs and rock’n’roll ont été le quotidien de sa folle jeunesse. Mais, au début des années 80, Sandy n’est plus qu’un écrivain qui se cherche, désormais propriétaire, et sagement en couple avec un agent immobilier prénommé Sharon. Il mène une vie raisonnable et c’est au fil du roman qu’il semble peu à peu s’en rendre compte : quand a-t-il cessé d’être un rebelle pour se couler dans la norme ?

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Mais le passé frappe à sa porte lorsque Jamie Lynch, un célèbre imprésario, est retrouvé assassiné, le cœur tout bonnement arraché et qu’une vieille connaissance lui propose un article de fond sur le sujet. Pour Sandy, le nom de Jamie Lynch éveille de vieux échos : c’était le manager des Nazgûl, un groupe de rock mythique, dont le leader a été assassiné en plein concert, en 1971. Ces deux meurtres, perpétrés à une dizaine d’années d’intervalle, sont-ils liés ? Sandy court les routes, à la poursuite de son passé : il mène l’enquête, mais celle-ci n’est qu’un prétexte pour rendre visite à ses vieux amis et replonger dans sa folle jeunesse.

Dans Armageddon Rag, la musique est vivante, c’est un personnage à part entière du roman, probablement même le principal : à la fin de la lecture, les Nazgûl nous semblent tout aussi mythiques que les Beatles, mais plus tragiques encore, car leur leader, charismatique comme pouvait l’être Robert Plant sur scène (inexplicablement, le leader des Nazgûl, Hobbins, me faisait penser à celui de Led Zep), a été brusquement abattu sur scène alors que le quatuor interprétait justement leur chanson Armageddon Rag. La musique est omniprésente. Les paroles des Nazgûl (magnifique référence à Tolkien en passant !) se mêlent au récit, on a presque l’impression de les connaître à la fin du récit : Napalm Love, Armageddon Rag, Blood on the Sheets, Rage… Musique et révolte sont inextricablement liées : les Nazgûl sont le produit de leur époque et en se séparant, c’est comme si le groupe avait mis fin à toute une décennie de rébellion. George R. R. Martin donne une véritable identité à chacun des membres du groupe. Son récit est donc délicieusement dense. Tout semble prévu, et le passé se dessine peu à peu au fil de l’intrigue : le lecteur a l’impression de recoller peu à peu les morceaux pour découvrir une toile bien plus vaste que prévue, véritable portrait d’une époque aujourd’hui révolue.

Le virage fantastique se fait en douceur : si le meurtre de Lynch évoque les rituels sataniques tels qu’il y en a effectivement eu dans les années 60 aux Etats-Unis, l’étrange et l’occulte s’installent peu à peu, oscillant entre réalité et délire. Même à la fin, on pourrait encore jurer avoir tout rêvé. Les visions que vit Sandy sont violentes et brillamment mises en scène.

Véritable plongée dans le monde de la musique, et dans une époque, Armageddon Rag confirme le talent de George R. R. Martin : son écriture, très visuelle, rend les scènes les plus emblématiques du roman véritablement puissantes. On termine ce roman en ayant l’envie d’investir dans quelques 45 tours de rock bien senti et un bon vieux tourne-disques.

Armageddon Rag, George R. R. Martin. Folio SF, mai 2014. Traduit de l’américain par Jean-Pierre Pugi.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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