Jérôme Ferrari lu par Pierre-François Garel

« Le monde est comme un homme ; il naît, il grandit, il meurt ».

Couronné du prix Goncourt 2012, Le Sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari se décline désormais en livre-audio, lu par Pierre-François Garel, un jeune comédien et lecteur. En cinq petites heures, l’acteur fait vivre les mots de Jérôme Ferrari, et donne corps à un texte envoûtant.

Jérôme Ferrari - le sermon sur la chute de Romee

Un petit village corse, perché loin au-dessus de la côte, qui se meurt doucement. Tout change lorsque le bar du village est repris par deux jeunes hommes, deux enfants du pays, qui ont tourné le dos à de prestigieuses études à Paris, à la grande surprise des habitants. Fidèles à Leibniz, leur credo est simple : transformer ce modeste débit de boissons en « meilleur des mondes possibles » et améliorer ainsi la vie de tout un village. Mais les humains étant ce qu’ils sont, en fait de paradis, c’est bientôt l’enfer qui trône en salle, rouvrant des blessures anciennes ou conviant à d’irréversibles profanations des êtres assujettis à des rêves indigents de bonheur, et victimes, à leur insu, de la tragique propension de l’âme humaine à se corrompre.
Voilà la tragique expérience que feront Matthieu et Libero : on ne peut pas améliorer un monde déjà décadent.

Contrairement à ce que pourraient laisser penser le résumé et le titre, il n’est nul besoin d’avoir fait une thèse sur l’œuvre de Saint-Augustin, ou d’être très calé en philosophie pour apprécier cette œuvre, même si elle entre en parfaite résonance avec les sermons du philosophe antique. Non, vous pouvez vous contenter de vous caler dans votre canapé, de fermer les yeux, et vous laisser embarquer par la voix de Pierre-François Garel.

Car si Jérôme Ferrari égrène les mots, comme autant d’ingrédients magiques d’une longue et sublime phrase, la voix de Pierre-François Garel leur donne vie, les module et se joue de l’espace romanesque. Sous ses intonations, c’est tout le village et les personnages qui prennent vie, avec des timbres subtilement différents. On écoute ce texte comme un morceau de musique même si, il faut bien l’avouer, certains passages sont noyés dans la poésie des mots. On ne sait plus bien qui fait quoi mais, peu importe, la beauté du texte est telle que le récit s’estompe derrière l’exigeant phrasé.

Mais pourquoi le « sermon sur la chute de Rome » ?

Ce sermon, Saint-Augustin le prononce pour consoler ses compatriotes de la perte de leur cité, en leur faisant miroiter un autre monde, meilleur et éternel, tout en rappelant qu’un monde, à l’instar de l’homme, a un début et une fin.

Matthieu et Libero, en reprenant le bar, se figurent que leur monde va devenir meilleur, puisqu’ils en sont les créateurs, et les gérants ; tout passe par eux et, en bons démiurges, ils sont bien décidés à ce que cela marche. Les destins, dès lors, s’entrecroisent ; ceux de Matthieu et Libero, animés par des visions différentes de la vie ;  celui d’Aurélie, la sœur de Matthieu, occupée à faire des fouilles en Algérie ; celui de Marcel, le grand-père, qui n’est plus que l’ombre de lui-même et semble vivre comme un fantôme, dans le fantôme d’un monde qui n’est plus. Les autres, nombreux, se suivent, s’entremêlent et se succèdent. Des habitants du village aux visiteurs de passage, tous passent, un jour ou l’autre, le seuil du bar, pour le meilleur ou pour le pire. Car, tout créateurs qu’ils soient, Matthieu et Libero devront se rendre à l’évidence : peut-être les mondes de chacun coexistent-ils sans possibilité de se rencontrer, et peut-être sont-ils tous, finalement, voués à l’échec…

Ce constat, il faut longtemps avant que l’on y parvienne et, encore, tous les personnages ne le font-ils pas. Certains, plus lucides que les autres, ont conscience que l’entreprise est, finalement, vouée à l’échec, tandis que d’autres s’obstinent, encore et encore.

Malgré un certain pessimisme et une petite pointe d’humour noir, Le Sermon sur la chute de Rome reste un roman très prenant, quoique plein d’illusions et de désillusions. Jérôme Ferrari évite avec brio le lamento tragique et moraliste, et propose une sublime et jubilatoire plongée dans le quotidien de ce monde meilleur expérimental. Alternant envolées lyriques et prose des plus crues, l’auteur propose un portrait d’une grande sensibilité, mais quelque peu désabusé.

Tragédie classique aux accents apocalyptiques exacerbés par l’environnement feutré du petit village corse perché au-dessus de la mer, Le Sermon sur la chute de Rome est une œuvre âpre, envoûtante, mais qui se dévore, et à laquelle on revient plus tard, une fois retombées les émotions premières. Même si l’on sait pertinemment que la beauté de l’écriture, puissante et baroque, n’atténuera en rien sa portée corrosive.

 Le sermon sur la chute de Rome, Jérôme Ferrari, lu par Pierre-François Garel. Editions Thélème, 2012.

Par Oihana

A propos Oihana 711 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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