Qu’est-ce-qui fait un succès de librairie ? Le talent est la réponse qui vient le plus spontanément. Mais il y a également la mise en scène et le charisme de l’auteur. Ne nous leurrons pas, cela joue immanquablement. Et cela, Henry Hayden l’a bien compris. Auteur de bestsellers adulé, Henry séduit, par son élégance, son charme, sa sobriété. Aux dédicaces, les lectrices sont nombreuses à espérer un sourire complice… Mais aux yeux du monde, Henry est également l’époux parfait, qui ne tromperait sa femme pour rien au monde. Aux yeux du monde, Henry Hayden est un homme parfait.
Mais tout cela, c’est faux. Henry Hayden sort de nulle part, il n’a pas de passé, par de famille, c’est une construction. Ce n’est même pas lui qui écrit ses romans : c’est sa femme qui, tous les soirs, se penche sur sa machine à écrire et produit avec régularité ces thrillers bien ficelés qui ont fait la gloire et la richesse de son mari, mari qui n’a même pas la grâce d’être fidèle, puisqu’il couche avec Betty, son opulente et séduisante éditrice.
L’équilibre de la vie d’Henry est précaire, mais il l’aime comme ça. Jusqu’au jour où Betty vient lui apprendre qu’elle est enceinte de lui, et menace de fait toute la vie d’Henry. Celui-ci décide de prendre les choses en main en se débarrassant tout bonnement de Betty. Mais c’est Martha, son épouse, qu’il tue par mégarde. Et là, la vie d’Henry devient sacrément compliquée.
Récit délicieusement machiavélique, La Vérité et autres mensonges met en scène un personnage principal retors, sans foi ni loi, et pourtant terriblement attachant… un constat dérangeant. Henry Hayden est un héros que l’on aimerait beaucoup détester, et pourtant… on prend ses intérêts à cœur, comme ceux d’un certain Monsieur Ripley, dans les romans de Patricia Highsmith. Ces figures ont un point commun : ils sont prêts à tout pour préserver leur confort et leur identité, même à tuer. Henry Hayden peut se montrer tout aussi manipulateur que le héros de Patricia Highsmith : et le résultat est, sans surprise, plutôt jubilatoire ! Autour de lui, gravitent assez peu de personnages, mais tous sont réussis : Betty, la sculpturale éditrice qui, sous ses dehors séducteurs, cache une vraie sensibilité (que l’on s’imagine un peu comme Joan de Mad Men), Moreany, le vieil éditeur paternaliste, Martha, l’épouse dévouée qui n’est pas aussi terne qu’elle le paraît, Obradin, le poissonnier serbe qui recueille les confidences de Henry, Honor, la secrétaire frustrée de la maison d’édition… Au fil des pages se dévoile l’intimité d’une petite maison d’édition familiale, gangrenée par la rivalité de deux femmes… Alors que Moreany semble sur le déclin, qu’arrivera-t-il à la maison d’édition qui porte son nom ? La publication d’un nouveau roman signé Henry Hayden serait une manne financière bien utile pour son éditeur… mais Martha semble être décédée avant d’avoir écrit le dernier chapitre. Henry doit donc repenser son rôle, et manigancer de plus belle. Ah, rien n’est simple pour notre manipulateur en chef !
Au portrait jouissif d’Henry se mêle un suspense indéniable : se fera-t-il prendre ? se débarrassera-t-il vraiment de Betty ? que deviendra cet ultime manuscrit légué par Martha ? Le lecteur ne sait jamais où Sascha Arango va l’entraîner, mais une chose est claire, il en redemande ! La fin est ouverte… doit-on s’attendre à d’autres romans avec Henry Hayden ? Ses aventures de jeunesse pourraient ainsi faire l’objet d’un nouveau roman car, on l’aura souligné, Henry Hayden sort de nulle part et, si l’on sait qu’il est orphelin et a vécu en foyer, on sait très peu de choses sur ses jeunes années…
Indéniablement un des romans à lire en ce début d’année !
La Vérité et autres mensonges, Sascha Arengo. Albin Michel, février 2015. Traduit de l’allemand par Dominique Autrand.
Par Emily Vaquié
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