Chez Café Powell, nous avons entendu pour la première fois parler de La Revanche de Kevin au Salon du livre, salon où nous nous rendons chaque année religieusement, en bons amateurs de littérature que nous sommes. Le titre nous a intrigué (de quoi pouvait bien se venger ce Kevin ? Que faisait donc un Kevin chez POL ?), le pitch a confirmé car le Kevin d’Iegor Gran évolue dans le milieu littéraire, univers qui nous est plutôt familier, pour y frayer tous les jours de notre vie professionnelle.
Le pitch avait donc tout d’une private joke, pour notre webzine, dont l’un des rédacteurs en chef s’appelle Kévin, ce prénom semble-t-il honni par l’élite germanopratine.
Car, effectivement, Kevin est de ces prénoms (comme Jennifer, Steven, ou encore Jason) qui sont connotés « très années 80 », un peu beauf, 100% banlieue, tout droit tirés de Beverly Hills ou autre série américaine dispensable des décennies précédentes. Notre Kévin n’a jamais ressenti de discrimination au prénom, mais moi, en tant que compagne de Kévin travaillant dans l’édition, on m’a déjà fait la remarque, souvent moqueuse mais jamais méchante.
Le Kevin (sans accent s’il vous plait) de Iegor Gran, en revanche, souffre de sa condition de « Kevin », car oui, cela apparaît bien vite : pour notre héros, le « Kevin »est un type d’individu bien donné, qui a vocation a être « prof de muscu, vendeur d’imprimantes, gérant de supérettes, mais intellectuel – impossible ». Le héros de Iegor Gran travaille pourtant à la radio, ou plutôt à la Radio avec une majuscule, on ne saurait faire plus prestigieux, oui, mais voilà, l’activité de Kevin est bassement mercantile, il vend des espaces publicitaires, c’est totalement nécessaire mais vaguement dégradant. Kevin se sent constamment rabaissé, dévalorisé, jugé sur la seule mention de son prénom.
Alors, voilà, Kevin se venge. Il écume les salons du livre, les vernissages, les soirées prout-prout du sixième arrondissement. Là, une coupe de champagne en main, il devient quelqu’un d’autre et vend monts et merveilles à d’aspirants auteurs. Il les fait tourner en bourrique. Et, du jour au lendemain, il disparaît. C’est notamment ce qu’il a fait subir à Pradel, un vieux routier de l’édition qui a déjà publié chez « Flammarion, Denoël et au Serpent à plumes ». Pradel rêve de voir son dernier-né séduire « la grande maison » (comprendre Gallimard ?) : Kevin se coule dans le rôle d’Alexandre Janus-Smith, lecteur pour ladite maison. Des mois d’échanges par mail plus tard, Pradel, qui ne voit venir aucun contrat, appelle « la grande maison » : on lui apprend qu’aucun Alexandre Janus-Smith ne travaille là bas. Rideau.
La satire du milieu de l’édition est sans concession : l’égocentrisme des uns, l’hypocrisie des autres y sont dévoilées sans fard, c’est la foire aux vanités. On y trouve même le fameux manuscrit écrit par un grand auteur, vaguement grimé, que les éditeurs sont incapables de reconnaître comme tel (dans les couloirs des maisons d’édition court l’histoire d’un aspirant auteur dépité qui aurait envoyé à tout le gratin éditorial des tapuscrits de Notre-Dame de Paris sous un autre titre, histoire de voir si l’auguste oeuvre était reconnue… apparemment pas). La Radio où travaille Kevin en prend également pour son grade : on se croirait dans un épisode de Caméra Café, avec ses petites mesquineries, ses retournements de veste opportunistes et même, ses abus de biens sociaux quotidiens. Ce n’est pas pour autant que l’on cautionne les agissements somme toute cruels de Kevin qui, sous le couvert d’une justice contestable, humilie les égos du milieu. L’homme nous est antipathique : il ressasse sa supposée malédiction du prénom (rappelons que notre Kévin à nous vit son prénom plutôt bien) et se complaît par ailleurs dans la médiocrité. On sent pourtant, que tout ce qu’il aimerait, c’est qu’on l’apprécie un tant soit peu (à commencer par lui-même). La frustration couve chez Kevin, puis déborde. Kevin perd pied, bientôt la supercherie sera éventée, le drame se profile, des notes de bas de page font état d’une enquête de police qui ne dit rien de bon pour notre héros. On dévore les pages, curieux de savoir ce que l’auteur réserve à son Kevin.
La fin du roman nous laisse songeur. Un prénom peut-il autant déterminer un être ? Peut-être, si cela avait été le cas, aurais-je été un écrivain célèbre moi-même, de part mes glorieuses homonymes, Emily Brontë ou Dickinson…
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