Hydesville : le nom lui-même semble taillé pour le surnaturel. C’est dans cette petite bourgade de l’est des Etats-Unis que se manifeste pour la première fois ce qui deviendra la marotte des grands de ce monde : le spiritisme. On se souvient tous de Victor Hugo faisant tourner les tables à Hauteville House. Eh bien, c’est à Hydesville en mars 1848 qu’est né le spiritisme, dans la chambre de deux fillettes, Maggie et Kate Fox. Quand Kate fait remarquer en pleine nuit à sa grande sœur que d’étranges coups résonnent sous l’escalier, le sort des deux jeunes filles bascule. Bientôt, la foule s’agglutine autour de la ferme des Fox. On brandit des flambeaux. Nous sommes en 1848 et le phénomène, dans l’opinion publique, est tantôt perçu comme un miracle, tantôt comme une preuve de sorcellerie. Qu’importe ! Les sœurs Fox quittent le village d’Hydesville pour Rochester, où elles sont prises en main par Leah, de vingt ans leur aînée, qui brille par son sens des affaires. Véritable mère maquerelle, elle fait se produire sur scène ses deux sœurs, et organise bientôt des rendez-vous entre Kate et Maggie et de nombreux endeuillés, prêts à payer très cher le privilège de converser avec leurs défunts.
Hubert Haddad déroule alors la vie des sœurs Fox, de leur installation à Hydesville dans une maison hantée à leur mort à la fin du siècle, indigentes et tristement solitaires. Sous l’emprise des morts, profondément marquée par les deuils qui les entourent, les jeunes femmes semblent incapables de trouver le bonheur : leur vie sera morne, le bonheur parfois à portée de main, mais jamais totalement atteint. Manipulées par la terrible Leah, Katie et Maggie traversent les années en somnambules, dévouées à la cause du spiritisme, trop accaparées par la mort pour s’intéresser pleinement aux choses de la vie. Le lecteur suit avec impuissance leur terrible déchéance, jusqu’à la fosse commune dans les années 1890. Seule Leah réussira à tirer son épingle du jeu : bel exemple d’élévation sociale, la vie de Leah tient du roman. Fille de paysans, elle réussit à s’inviter dans les salons bourgeois grâce à sa maîtrise du piano. Le don de ses jeunes sœurs est l’occasion qu’elle tient pour basculer définitivement du côté des nantis. Bien que le personnage soit des plus odieux, on ne peut qu’admirer la hargne et la détermination de cette femme.
Servi par une écriture élégante et poétique, le récit des sœurs Fox bénéficie de surcroît d’une narration originale, les points de vue changeant de chapitre en chapitre. Le style d’Hubert Haddad surprend, mais séduit : les phrases sont longues, mais maîtrisées. Les mots y ont un charme un peu tarabiscoté, un peu désuet, qu’on ne lit pas souvent. Ils contribuent à la construction d’une atmosphère surannée, celle d’un siècle révolu. C’est près d’un demi-siècle d’histoire américaine qu’Hubert Haddad décrit, évoquant par petites touches la grande histoire (guerre contre le Mexique, ruée vers l’or, guerre civile) et faisant parfois apparaître des personnages réels, comme Frederick Douglass, le célèbre abolitionniste.
Roman à atmosphère, maîtrisé de bout en bout, Théorie de la vilaine fille est vraiment un des incontournables de la rentrée de janvier. Et, pour ne rien gâcher, comme toujours avec Zulma, c’est également un bel objet, du plus bel effet dans la bibliothèque. C’est donc une réussite totale pour ce roman surprenant et un peu triste.
Théorie de la vilaine petite fille, Hubert Haddad. Zulma, 2014.
Un peu moins d’enthousiasme, pour ma part: il y a certes une belle écriture, mais j’ai trouvé le début lent et un brin marécageux. Pas seulement en raison du contexte des premières pages… dès lors, difficile de remonter la pente.
Je retenterai cependant le coup avec un autre ouvrage de cet auteur – et/ou de cet éditeur.
Chère Emily,
Pour une fois, je ne suis pas du tout d’accord avec vous… Le roman m’est tombé des mains… Pourtant, j’aime beaucoup Hubert Haddad et le sujet était fort appétissant! Un ratage pour moi: trop dire, trop bien dire, Haddad en a oublié son lecteur… qui finit complètement assommé.
Bonne continuation à toute l’équipe et à très vite,
Marie Anna.
Bonjour Marie Anna,
Quel dommage ! Mais je peux comprendre ce qui vous a déplu.
Au plaisir de vous revoir sur le site !