J’y étais : L’Ours et La Demande en mariage à l’Auguste Théâtre

Source : http://cargocollective.com/parismoscou/

Impasse Lamier, Paris. Bonnet enfoncé jusqu’à l’écharpe, je me hâte dans la nuit glacée. Seul Tchekhov a pu me faire mettre le nez dehors ce soir. Direction l’Auguste Théâtre pour deux farces du grand auteur russe : L’Ours et La Demande en mariage. Au programme : amour, possessions et pulsions.

Dès que je pousse la porte : des rires, des complicités, le joyeux sourire d’une brune qui s’avèrera être l’actrice.

Mais n’allons pas trop vite… Le théâtre, ça se déguste.

La salle, petite, intime, de celle où se produisent les petites compagnies courageuses et énergiques comme Paris-Moscou. Les gradins se remplissent, tous âges, tous genres, un enfant bouclé s’assied devant moi.

L’Ours, une véritable lutte contre les sens.

Dans le salon d’une demeure de hobereaux de province, une jeune veuve est sermonnée par son valet qui lui conseille de sortir du deuil où elle compte s’enfermer à vie. Sous les répliques, mouvements et attitudes, affleure le premier combat : se sacrifier à un mari défunt et volage ou revivre.

— Et rencontrer un officier, susurre le valet avec gourmandise.

Fin XIXe, rappelons que l’officier était le comble du sexy.

Tandis que la jeune femme, dont le sourire éclatant me rappelle Fanny Ardant, s’oblige à rester fidèle jusqu’à la mort à son défunt mari, un visiteur inconnu est annoncé. La belle se poudre aussitôt les joues. Le visiteur entre.  En colère, empoussiéré et exigeant : il réclame le paiement immédiat d’une dette due par le feu mari.

La mise en scène joue sur le fil de l’opposition et du déchirement intérieur. Les paroles sont celles de la raison, de l’emportement ou de la distance, mais les corps se frôlent et s’attirent. Impossibles à contraindre.

Tout se joue devant le portrait du mari figé pour l’éternité et sous les yeux du serviteur, mi froussard, mi insolent, au bon sens paysan énoncé d’une voix précieuse. Beaucoup de sous-entendus dans cette joute des corps, soutenant avec justesse le texte de Tchekhov, avec un moment de grâce dans la scène de l’apprentissage du tir au pistolet.

La Demande en mariage, ou l’impulsivité débordante d’inestimables propriétaires terriens.

Ego chatouilleux, fiertés blessées et possessions matérielles comparées, tout se conjugue pour faire oublier l’objet de sa visite à un jeune homme venu demander la fille de son voisin en mariage.

Mais ce n’est pas si simple, entre prés, chiens et litiges anciens, de ne pas se laisser dominer par ses pulsions. Et chacun se laisse emporter…

D’étonnants acteurs dont la richesse s’épanouit au cours de la représentation comme des arômes de plus en plus puissants :

L’actrice (à laquelle je trouve maintenant des airs de Julia Roberts) oscille de la gêne attendrie au dédain en passant par la franche colère, avec notamment une savoureuse répétition de voilà en crescendo. Le prétendant, magnifique hypocondriaque aux monologues intérieurs et palpitations délirantes, finit quasi-mort. Le père de la future mariée, délicieux gentilhomme couvrant son futur gendre de mon trésor et mon ange roucoule entre deux coups de pattes acérées.

Quand le rideau tombe, j’en voudrais encore.

Les acteurs saluent. L’un remercie leur metteur en scène, Jean Pierre Leroux, «qui a eu l’honneur de les diriger». Le jeune acteur se reprend, plein d’impromptu, joli méli-mélo et rotation de mains pour remettre en ordre le sens de sa phrase, qui me fait réaliser combien tout au long de la représentation, a plané ce subtil équilibre entre la signification des gestes et celle des mots. Plus largement entre fidélité au texte du XIXe et reinterprétation contemporaine.

La complexité humaine, vue par Tchekhov, magnifiée par le jeu et la personnalité des acteurs. Une pièce incarnée. Bravo.

L’Ours et La Demande en mariage, c’est à l’Auguste Théâtre  jusqu’au 31 janvier avec Nicolas Natkin, Garance Thenault et Yordan Mons. N’hésitez pas à consulter le site de la compagnie !

Et après pour voir la pièce, ce sera en Russie.

 Par Isabelle

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