« Marivaux est aussi grand dans le roman qu’au théâtre » dit le dos de l’édition Folio de La vie de Marianne. Affirmation que je juge un peu rapide, voire trompeuse. L’on reconnaît volontiers le génie de Marivaux au théâtre. Il aurait probablement mieux fait de s’abstenir concernant le roman.
La vie de Marianne en soi est un titre trompeur : lectrice innocente, je pensais qu’on allait me narrer la vie d’une certaine Marianne, forcément, que je la verrais grandir, se marier, avoir des enfants, vieillir, et vivre plein d’aventures rocambolesques. En réalité, la vie de Marianne se résume véritablement à quelques années et ne va pas au-delà des vingt ans de Marianne. Peut-être que l’auteur avait prévu effectivement de traiter l’âge mûr de Marianne, mais l’histoire l’a finalement lassé à tel point qu’il a tout bonnement abandonné son projet : si même l’auteur quitte le bateau, je vous laisse deviner l’état du navire. Trêve de mesquinerie. N’est pas Defoe qui veut !
Marianne débute dans la vie de manière fort romanesque : ses parents sont assassinés dans leur carrosse par des brigands, et ce n’est que par chance que la petite fille de deux ans n’en réchappe. Malheureusement pour elle, l’on ne sait qui étaient ses parents, et l’on ne peut que supposer une noble extraction, sans pouvoir la confier à de riches parents. Marianne grandira grâce à la bonté et à la charité des uns et des autres. Arrivée à l’adolescence, Marianne est devenue une vraie beauté, vertueuse avec cela, mais de mon point de vue personnel, assez peu modeste et très naïve. C’est là que les aventures de la demoiselle commencent véritablement.
Outre le fait que les aventures de Marianne sont très peu crédibles, la lecture moderne est très rapidement entravée par Marianne, à la personnalité irritante. Car celle-ci est sujette a des crises de larmes et d’auto-apitoiement si fréquents qu’on est tenté de s’y mettre aussi, tant c’est crispant. Si ce n’était que ça ! Car Marianne a une conscience aiguë de ses charmes et se considère comme absolument irrésistible. L’on pense à une fameuse scène dans une église où la donzelle fait des oeillades à tous les mâles présents, persuadée qu’elle est la plus regardée de l’assistance. Forcément, à se croire le centre du monde, Marianne finit par se casser la figure en sortant, mais la jeune intrigante arrive à tirer profit de n’importe quelle situation et en profite pour exhiber son pied. Marianne est de surcroît d’une naïveté qui frôle la stupidité, agit parfois (souvent, en réalité) contre son intérêt et exaspère le lecteur moderne avec ses accès de vertu. Plus d’une fois, j’ai voulu réecrire Marianne à la Ambre (Kathleen Windsor) ou à la Moll Flanders (Daniel Defoe) pour en faire une intrigante hypocrite et débauchée. ça, ça m’aurait défoulé !
Non content de laisser l’histoire de Marianne en suspens, Marivaux dérive aussi pendant plusieurs parties sur l’histoire d’un autre personnage. A vous d’imaginer la suite, bien qu’une soit proposée dans l’édition Folio. A vous, sinon, d’écrire la douzième partie : Marianne épousera-t-elle Valville? Personnellement, je lui concocterais un destin bien sympathique et bien sordide.
Les siècles ont passés, et c’est probablement pour ça que nous, lecteurs du XXIème siècle, sommes incapables d’apprécier l’oeuvre de Marivaux. Le professeur de lettres modernes qui nous fait travailler sur ce livre a ouvert son cours sur le préambule suivant « Je n’aime pas Marianne. C’est la quatrième fois que je la lis et elle m’ennuie toujours autant. Mais ce n’est pas une excuse pour ne pas lire ce maudit livre ! ».
Mais La vie de Marianne est un roman bourgeois, féminin, réaliste, philosophique (dit on), un « roman-discours » (non, vous n’avez pas lu « roman-discount », bande de mauvaises langues !).
Incontournable? Probablement pas.
J’avais une formation sur les métamorphoses du roman la semaine dernière, et nous avons abordé le XVIIIème. Malgré les défauts du livre, je suis d’accord avec ton prof : le roman
pseudo-autobiographique du XVIIIème, et notamment Maivaux, est essentiel dans l’histoire du genre. Et (avis très personnel) Marivaux est quand même loin d’être aussi insupportable que Rousseau…
Grosses bises!!!
En tout cas, ce qui est sûr, en te lisant, c’est que cela traduit tout à fait l’image que les hommes avaient des femmes à cette époque, et cette espèce de sensiblerie et de débauche lacrymale est
assez caractéristique du temps.
Malgré cette critique, si je trouve ce bouquin en librairie, je serais curieux de m’essayer à un Marivaux romanesque. Il faut bien tenter un jour !
Je suis bien d’accord avec sur tout tes points de vues! Le personnage de Marianne est assez insupportable et pour l’histoire, on a l’impression d’avoir lu tout le livre pour rien quand on découvre la fin!