Dix mille guitares, Catherine Clément

Dix mille guitares, un titre bien mystérieux pour un roman historique peu commun, vu par les yeux d’un rhinocéros. C’est ce que nous propose Catherine Clément, philosophe et romancière, qui nous permet de découvrir l’Europe du seizième siècle par le biais d’un pachyderme du Bengale.

L'histoire, comme vous ne l'avez jamais vue !

1578 : le jeune roi Sébastien du Portugal préoccupait depuis plusieurs années les cours d’Europe. Roi né sous de mauvaises hospices, jugé incapable de consommer un mariage et donc impropre à fournir un héritier au trône, il décide en plus de mener une croisade au Maroc ! Une croisade ? Ce n’est plus guère à la mode ! Trop cher, trop couteux en hommes…Mais Sébastien n’a cure des conseils et s’en va au Maroc…et disparait. Mort ou vif ? Le mystère demeure…Son rhinocéros domestique attend son retour au Portugal. Capturé en Inde, il aura pour propriétaires deux rois, un empereur et une reine…

Roman historique doublement original et intéressant, Dix Mille guitares offre un panorama assez complet de la situation en Europe à la fin du seizième siècle, et nous dévoile les secrets d’une famille méconnue, les Aviz, dynastie alors régnante au Portugal, le tout sous les yeux d’un brahmane réincarné en un « bada », un rhinocéros, qui porte son regard étonné sur un monde qu’il ne juge finalement pas si différent du sien. Le rhinocéros, vivant puis mort, connaîtra l’intimité de plusieurs cours d’Europe : il sera le témoin des derniers jours de Sébastien comme roi, la folie des Habsbourg, et côtoiera même la reine Christine de Suède, follement éprise de Descartes. Du grand roman historique !

Une idée donc  originale, avec un procédé qui n’est pas sans rappeler celui de Montesquieu dans Les lettres persanes : le regard d’un étranger sur les coutumes d’un pays est toujours plus intéressant que celui de quelqu’un qui y est accoutumé. Ainsi, le rhinocéros se souvient de sa vie passée, et commente les mœurs matrimoniales, politiques, militaires des peuples européens.  Ce décalage nous permet d’apprécier l’histoire à sa juste valeur. Car au-delà de l’histoire avec un grand H, il y a celle de Sébastien, que l’auteur imagine : un jeune homme exalté, profondément religieux, et amoureux d’une jeune fille qui n’embrasse pas la même religion, nous apparait. Car nombre de lecteurs ignoreront que Sébastien est au Portugal ce qu’Arthur est à l’Angleterre : un roi « dormant », qui reviendra le jour où son peuple a besoin de lui.

L’histoire est très complexe, ne serait-ce que du point de vue des relations familiales et diplomatiques des souverains d’Europe entre eux. Beaucoup de personnages célèbres sont évoqués (Marie de Médicis, Mary Tudor, le Maharal, pour n’en citer que trois) et on s’y perd parfois un peu. C’est le seul bémol que je trouve à ce roman étonnant, qui m’a fait voyager du Portugal au Maroc, de l’Autriche à la Suède. Je remercie vivement les éditions Points, ainsi que Livraddict, pour ce partenariat très intéressant.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

1 Commentaire

  1. Enfin un livre qui nous narre un peu de l’histoire du Portugal. Chose bien rare dans nos manuels scolaires.

    Je trouve ton avis vraiment beau et il s’accorde parfaitement à ce que j’ai pu ressentir à la lecture. Bravo !

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