Alceste à bicyclette

« Vous voulez un grand mal à la nature humaine !

–  Oui, j’ai conçu pour elle une indicible effroyable haine. »

Cette réplique d’Alceste, dans Le Misanthrope de Molière, cristallise la nature du personnage éponyme. Mauvais, orgueilleux, il déteste ses congénères. Et c’est autour de cet échange culte que Fabrice Luchini et Lambert Wilson  se retrouvent pour incarner deux comédiens, deux fortes têtes, se frottant au chef d’œuvre de Molière.

En venant tirer Serge Tanneur (Fabrice Luchini) de sa tanière pour lui proposer de jouer avec lui dans une pièce de théâtre qu’il se propose de monter, Gauthier Valence (Lambert Wilson) ne sait pas ce qui l’attend. Car pour Serge Tanneur, le théâtre, le cinéma, les planches, de quelque espèce qu’elles soient, c’est fini. Terminé. Plus jamais : « Tous des pourris », dit-il et autre chose du genre « Moi vivant, jamais ! ». Pourtant, il ne peut s’empêcher d’éprouver de la curiosité lorsque Gauthier prononce le nom magique de la pièce qu’il va monter : Le Misanthrope. Surgit alors une idée dans l’esprit de Tanneur : celle de lire simplement les rôles, afin de voir comment cela sonne.  Il se décidera ensuite, quant à sa participation possible à la pièce de Valence.

Alceste à bicycletteDans la grande et vieille maison, humide et insalubre à souhait, se mettent alors à résonner les alexandrins. Mais tout n’est pas simple, loin de là : car si Tanneur brigue le rôle-titre, Valence lui dédiait son contrepoint, le rôle de Philinte. Tout se joue donc à pile ou face : pile, c’est Tanneur qui lit les répliques d’Alceste, face, elles sont pour Valence.

Nul besoin de connaître Molière, Le Misanthrope, ou le théâtre classique français pour profiter de ce film : il ne s’agit pas d’une histoire sur le théâtre, mais plutôt d’une fiction autour de l’âme humaine. On assiste, au travers du texte, à la confrontation incroyable de deux egos – surdimensionnés, bien entendu – et, surtout, de deux conceptions du métier diamétralement opposées. Tous deux veulent jouer Alceste, bien sûr, le rôle titre, le gros morceau. Mais entre l’adepte de la diction classique et le tenant de la modernité, les choses ne sont pas si simples. Rassurez-vous : si ces scènes de répétitions sont nombreuses, elles ne font pas l’objet principal du film ; le propos est ailleurs.

 Oui, Alceste à bicyclette est plutôt une comédie désabusée et cynique sur l’orgueil, l’hypocrisie, et les humains en général. Magnifiquement porté par le duo Luchini/Wilson très en forme, le film de Philippe Le Guay ne souffre que de quelques petites longueurs vite oubliées, et fait tour à tour rire et réfléchir. L’île de Ré est parfaitement mise en scène ici ; longuement parcourue à bicyclette, sur fond de Misanthrope, ou de la chanson d’Yves Montand. Entendre résonner les alexandrins, déclamés par les acteurs et leurs dictions particulières (notamment celle de Luchini) est bien agréable : on sent qu’ils se font plaisir. Les répliques, pourtant sont souvent pleines de noirceur, d’un cynisme à peine déguisé, et on regarde les personnages se livrer à une sorte de duel verbal endiablé. Même le texte de Molière peut être entendu à double sens, tant il s’adapte bien à la situation. Le scénario est parfois un peu transparent, certes, mais il vaut mieux prendre ce film comme une ballade, une tranche de vie, l’histoire d’une amitié malmenée par les mesquineries de deux partis.  Oh, bien sûr, ça ne finit pas extrêmement bien, même si on l’espère un instant : mais n’est-ce pas tout l’intérêt de ce film ? Sans trancher en faveur de l’un ou l’autre des protagonistes, Philippe Le Guay signe là une comédie un peu sombre, pleine de regrets, de petites trahisons, mais divertissante et éminemment agréable à suivre.

Alceste à bicyclette est un film de Philippe Le Guay, sorti en salles le 16 janvier 2013.

Par Oihana

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

1 Commentaire

  1. Face à ces égos sur-dimensionnés trône une jeune actrice débutante qui apporte un vent de fraîcheur, quelque-chose de nouveau et de revigorant face à deux colosses du cinéma français. Il est dommage de ne pas en parler, elle a certes un rôle secondaire, mais quand même ! mais pour l’ensemble, je suis d’accord avec vous.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.