« Pourquoi tant d’hommes et de femmes sont-ils conduits à tout laisser derrière eux pour partir, seuls, vers un pays mystérieux, un endroit sans famille ni amis, où tout est inconnu et l’avenir incertain ? Cette bande dessinée silencieuse est l’histoire de tous les immigrés, tous les réfugiés, tous les exilés, et un hommage à ceux qui ont fait le voyage ».
Comme un certain nombre de lecteurs, j’ai été longtemps lassé par la bande dessinée, ce pilier de notre patrimoine culturel, bien trop souvent centré sur les grands classiques de la BD qu’on nous assenait comme des fondamentaux et des lectures obligatoires. Loin des Tintin et autres Astérix, Là où vont nos pères est une très bonne surprise qui m’a permis de me réconcilier avec ce genre littéraire que j’avais tendance à oublier. Là où vont nos pères est un concentré de finesse et de simplicité, une pépite qui pousse le lecteur à être attentif tout au long de sa lecture. Subtile, drôle, poétique, humaine… les adjectifs ne manquent pas pour illustrer mon engouement pour cette BD.
La première page dresse les portraits d’une multitude de personnages, à la moue dubitative et en apparence malheureux. Ces « citoyens du monde » que l’auteur a décidé de représenter par ces photos d’identité que l’on arbore habituellement sur nos passeports et papiers officiels, sont les héros d’une odyssée muette ; des « petites gens » d’une histoire sans H majuscule qui s’apprêtent à être les protagonistes d’une tragique destinée. Les couleurs de vieilles photos, jaunies par le temps, retranscrivent cette atmosphère morose qui entoure le départ de ces milliers de personnes.
L’auteur, en trois coups d’un crayonné appliqué, délicat et détaillé, doux et sombre à la fois, se fait le témoin fictif de leur tristesse. Là où vont nos pères n’est pas simplement l’histoire d’un personnage isolé, mais c’est avant tout le destin d’un individu parmi tant d’autres, d’un homme chargé d’être le porte-parole de toute une génération de migrants. Mais Shaun Tan ne dénonce pas les travers de nos sociétés dans toute leur brutalité, il préfère insérer une dose d’imaginaire dans un réel maussade et angoissant. Comme un artisan du bonheur, un sorcier de la BD, il gratifie ses dessins d’une dose de fantastique et de magie, cocktail explosif pour une alchimie assurée entre lecteur et bande dessinée.
Shaun Tan transforme la périlleuse réalité de ces personnes poussées à l’exil, en une aventure fantaisiste dans un ailleurs allégorique, où les petites choses du quotidien sont simplement différentes des nôtres. Le lecteur est forcé d’adopter un autre point de vue sur cet ailleurs exotique. En effet, l’arrivée des migrants dans un New-York parallèle –un Ellis Island étonnamment moderne et peu banal– est le point de départ d’une réflexion plus poussée, centrée sur le dépaysement, l’immersion dans une culture totalement différente de la sienne. Dans cet ailleurs, là où vont nos pères, le lecteur est aussi perdu que le personnage : les deux se confondent dans leur incompréhension totale de la situation. C’est donc une odyssée commune, main dans la main, qui nous fait entrer dans la peau d’un homme contraint à s’exiler, dans un univers original et artistique –alambiqué presque–, composé de montgolfières, d’animaux aux mille queues et de hiéroglyphes inconnus. Le lecteur comprend, en le vivant, la douloureuse expérience de ne plus se sentir « chez soi ».
Le personnage principal, accompagné de son fils, fera la rencontre d’animaux étranges, d’une mystérieuse et belle inconnue qui le guidera dans ce labyrinthe de dédales et d’indications chiffrées, d’un autre père et son enfant… Ces rencontres seront l’occasion de comprendre pourquoi ces « pères » se sont réfugiés dans cet endroit irréel, semblable à un paradis terrestre pour naufragés politiques… ou à un « American Dream ». Mais difficulté d’intégration et de communication sont l’apanage de ces nouveaux venus, confrontés à la dure réalité de ne pouvoir se faire comprendre. Sans cesse renvoyés à leur condition, ces laissés-pour-compte traduisent les tragédies qui, tous les jours, ont lieu dans notre propre réalité…
Là où vont nos pères n’est pas qu’une simple bande dessinée : vectrice d’un message de paix, elle déclame haut et fort que, peu importe qui vous êtes, il restera toujours un espoir, même loin de chez vous…
Là où vont nos pères, Shaun Tan. éditions Dargaud, 2007.
Par Maxime
J’ai adoré la fantaisie de cet album ! BD sans paroles mais les dessins suffisent largement à eux-mêmes tant ils sont riches et touchants. Bravo et merci pour cet article, c’est une de mes BD préférées 🙂