Il suffit d’un rien pour qu’une vie bascule. Pour Rose, neuf ans, il suffit d’une bouchée de son gâteau d’anniversaire au citron, nappé de chocolat. En mangeant, Rose ressent désormais avec acuité les sentiments qui habitaient le cuisinier au moment de la confection du plat. C’est un véritable choc, qui bouleverse Rose et ses habitudes alimentaires : la voilà désormais au courant de choses qu’elle aurait préféré ignorer…Au fil des années, ce don va s’affiner, et l’enfant confiante et dynamique qu’était Rose va se métamorphoser en une adolescente craintive et pragmatique.
Nous vivons une dizaine d’années de la vie de Rose, au sein de sa famille. Nous découvrons son père, qui n’est pas très doué pour les relations père-fille mais essaie très fort, sa mère, qui sent vide et peu épanouie dans son rôle maternel, et Joseph, son frère, génial mais associable. Car, avant d’être un roman de super-héros, comme il est parfois décrit, La Singulière Tristesse du gâteau au citron est avant tout un roman sur la famille et les relations entre parents et enfants, frères et sœurs. Rose grandit dans une famille en apparence classique : deux parents, et deux enfants. Mais elle a aussi une grand-mère qu’elle ne voit jamais, et qui ne se manifeste que par téléphone ou en envoyant des colis emplis d’objets hétéroclites et inutiles. Rose découvre à l’âge de douze ans, grâce à la passion et la culpabilité qu’elle ressent dans son repas, que sa mère a probablement une relation adultère : Aimee Bender étudie alors les émotions contradictoires qui se manifestent en un enfant lorsqu’il comprend qu’un de ses parents est en faute. Enfin, la relation entre Rose et son frère Joseph est au centre de l’intrigue. Joseph est un enfant précoce, très prometteur, mais qui, de génial, devient seulement brillant arrivé à l’adolescence. Silencieux, solitaire, parfois désagréable, Joseph est un personnage complexe : il n’a qu’un ami, Georges, qui devient pour Rose un frère de substitution, Joseph n’assumant pas son rôle de grand frère complice.
C’est un lourd fardeau que ce don sur les épaules d’une si petite fille : quinze ans après, le lecteur a l’impression que Rose est passée à côté de sa vie, meurtrie par ce don qui l’empêche de croquer la vie à pleines dents. Rose est un narrateur très plaisant, grâce à son acuité et sa fraîcheur, elle rend compte de sa vie avec beaucoup d’innocence et de réalisme. Le lecteur est d’autant plus touché de la voir ployant de plus en plus sous le poids de ce talent étrange, qui révèle les failles d’une famille d’apparence ordinaire.
C’est un roman sensible, mené d’une main de maître par Aimee Bender qui a su faire sienne la palette des émotions et la retranscrire avec talent. N’ouvrez pas ce livre si vous êtes en quête d’action, ou cherchez un roman sur les super-héros : La Singulière Tristesse du gâteau au citron est un roman tout en douceur et en amertume, comme un gâteau citron-chocolat. On sort de cette lecture un peu triste, mais également ravi.
La singulière tristesse du gâteau au citron, Aimee Bender, L’olivier, 2013.
Par Emily de Café Powell