Quand Charles Dickens, alors âgé d’une quarantaine d’années et écrivain reconnu, décide de lancer son propre journal, à une époque où tout un peuple découvre la lecture par le biais de récits mensuels ou hebdomadaires, une évidence s’impose rapidement à l’auteur : si il veut que All the year round marche, il faut qu’il écrive lui-même un récit efficace. Ainsi nait Les Grandes Espérances.
Le peuple anglais découvre alors les aventures de Philip Pirrip, dit Pip, un jeune orphelin, élevé par une soeur maussade et à la main leste, et par l’époux de celle-ci, un homme gentil mais faible, et destiné à une vie de forgeron. Alors que Pip contemple la tombe de ses parents, il fait une rencontre terrifiante : un détenu en fuite le menace afin d’obtenir de lui de la nourriture et de quoi s’ôter ses chaînes. Quelques temps après, il est amené à rencontrer Miss Havisham, une vieille dame étrange vivant dans un manoir où le temps s’est comme arrêté depuis le jour de ses noces avortées, et la jeune, belle mais froide Estella. Celle-ci se moque des manières et des vêtements du jeune Pip, l’amenant à rêver d’une éducation plus noble et d’un destin moins commun…
Roman initiatique, d’apprentissage, Les Grandes Espérances montre l’évolution du jeune Pip qui, aveuglé par ses « espérances », apprend à devenir adulte et que chacun de nos actes entraîne des conséquences. Le lecteur suit Pip de ses sept ans à l’âge adulte, au moment de l’épilogue, et s’attache à ce petit garçon impressionnable, maltraité par sa soeur. L’on découvre par la suite un jeune homme brillant, rêveur, terriblement humain, qui, même lorsqu’il se comporte mal, parvient à obtenir l’indulgence du lecteur. Narrateur vif, prompt au trait d’esprit et à l’humour, Pip est très agréable à lire. De ce fait, nous suivons ses aventures avec ardeur, et nous nous désolons avec lui quand ses espérances ne se réalisent finalement pas.
Car il est rapidement visible pour le lecteur que les « grandes espérances » de Pip ne se réaliseront jamais vraiment : le lecteur victorien s’en rendait compte bien plus vite, car le titre Great Expectations était alors très connoté, étant issu d’un poème très connu à l’époque (Astrophel et Stella) et clairement pessimiste. Le lecteur comprend d’ailleurs toujours tout avant le héros, et cette ironie dramatique renforce la compassion du lecteur. Néanmoins, un certain suspense demeure, permettant au lecteur de suivre toutes les péripéties avec intérêt.
Dickens nous offre également toute une palette de personnages à la construction et à la personnalité intéressantes : ainsi, j’attirerais votre attention sur le personnage de Miss Havisham, que j’avais personnellement rencontré dans un livre de Jasper FForde, Délivrez-moi. N’est-il pas splendide, ce personnage de mariée presque macabre, figé dans sa robe de noces jaunie, dans une maison aux volets fermés, aux horloges arrêtées? On devrait lui en vouloir, pour le mal qu’elle a fait sans vraiment le vouloir à Pip et à Estella, mais l’on n’y arrive pas, tant elle nous émeut. Miss Havisham, c’est l’incarnation même du temps, de tout un passé, c’est également quelqu’un qui potentiellement aurait pu être, mais qui a préféré une sorte de non-existence dans un présent perpétuel. Estella est également un personnage digne d’être mentionné. Miss Havisham a réussi à en faire une jeune femme froide, sans âme, sans coeur. Quand elle éconduit Pip, le lecteur a envie d’entrer dans le roman pour la secouer, c’est plus fort que lui, il voudrait vraiment pouvoir lui dire deux mots. Mais il n’y a que dans les romans de Jasper Fforde que l’on peut converser avec des personnages de fiction.
Vous l’aurez compris, pour moi, ce fut un véritable coup de cœur. Je me suis véritablement prise d’affection pour Pip, un vrai héros de littérature avec une évolution véritable. C’est le genre de livre auquel on pense encore quand on l’a fini. Pour la petite anecdote, cinq minutes après que j’ai terminé le livre, Anne Rice disait sur son Facebook que c’est avec Les Grandes Espérances qu’elle avait appris à écrire, et qu’elle avait découvert qu’elle voulait écrire.
Cet article a été écrit le 1er octobre 2010.
Les Grandes Espérances, Charles Dickens. Gallimard folio, 1999.
C’est marrant que tu parles de Charles Dickens puisque j’allais moi même y faire référence dans mon blog dans quelques jours, avec « A Christmas Carol » ou « Un Chant de Noël », ce livre qui a fait
la renommé de cet écrivain, et dont Disney en a fait un film (assez dur…) l’an passé pour les fêtes de Noël ! (Film très injustement renommé « Le Drôle de Noël de Scrooge » pour faire le
rapprochement avec « L’Etrange Noël de Monsieur Jack »…)
Cela dit, ce livre me parait intéressant, je tâcherais de me le procurer !
Sans aller jusqu’au coup de coeur, il m’avait beaucoup plu aussi, j’ai lu ta critique avec plaisir 😀
J’ai Oliver Twist qui m’attend dans ma PAL, tu m’a redonné envie de lire du Dickens^^
Bon week end!
Puisque tu parles de Jasper fforde c’est avec le tome 2 de Thursday Next que j’ai fait connaissance avec Miss Havisham ! 🙂 Du coup, ça me donnerait presque envie de lire De Grandes expériences
mais je suis un peu en froid avec Dickens depuis Un chant de Noël que je n’avais pas vraiment aimé.
Ah oui, oops ! Dans le Jasper Fforde c’est une espèce de grande gueule qui conduit comme une folle !
je viens de lire les deux dernières chroniques…grand écart entre dickens et un démon ! je regrette de ne pas, ne plus, avoir quinze ans….après tout soyons fou, il n’y a pas d’âge pour les
bons livres et j’ai adoré Harry Potter et une trilogie dont le nom me fuit mais qui raconte les aventures d’une petite fille dans des univers parrallèles….il y a eu une adaptation avec cette
actrice australienne qui a autant d’expression qu’un poisson botoxé : merci internet A la croisée des mondes et Nicole Kidman
bonnes lectures emily
Voici un article qui me pousse encore plus à m’atteler à cette lecture !
Je peux pas y croire : tu m’as donné envie de lire du Dickens ! 🙂
J’avais lu Oliver Twist que j’avais bien aimé mais trouvé un peu long, et je lorgne sur Great Expectations depuis un moment en hésitant cependant. Est-ce qu’il sera plus dynamique, est-ce que je
le lis en vo ou en vf, etc. ^^
Mais ce que tu nous dis fait un peu pencher la balance en faveur du « lis le! » par contre je pense rester en vf même si j’aimerai lire du Dickens en vo, parce que je risque d’avoir trop de mal, vu
la longueur de ses livres, à aller jusqu’au bout.. ^^