Rencontre avec Derek B. Miller

Paris, un matin ensoleillé. Nous rencontrons Derek B. Miller, l’auteur de Dans la peau de Sheldon Horowitz (n’hésitez pas à lire notre critique) dans un hôtel du sixième arrondissement. Souriant et disponible, il répond à nos questions et nous parle du personnage de Sheldon.  Si celui-ci n’était qu’un personnage mineur dans un manuscrit précédent, il s’est peu à peu imposé dans l’esprit de l’auteur. Lorsque Derek B. Miller a emménagé avec sa femme et son fils en Norvège, il a eu le déclic et l’idée de faire évoluer Sheldon dans ce pays qui lui était inconnu, ce qui était nécessaire à l’intrigue. La Norvège lui permettait d’évoquer des thèmes qui lui tenaient à cœur : la génération de ses grands-parents, le patriotisme américain et son évolution ces dernières décennies, et le judaïsme en Europe et, plus particulièrement en Norvège.

Nous soulignons l’importance de la guerre (deuxième guerre mondiale, guerre de Corée et guerre du Vietnam) dans la construction de l’intrigue. Derek B. Miller nous explique que ces guerres ont forgé la personnalité américaine telle que nous la connaissons : il est très difficile d’ignorer cet héritage, qui a fortement influencé la littérature américaine contemporaine. Il y a selon lui une frustration certaine de tous ces jeunes hommes qui n’ont pas pu participer à la deuxième guerre mondiale parce qu’ils étaient trop jeunes et qui se sont donc engagés en Corée. La deuxième guerre mondiale, c’était une guerre que l’on pouvait résumer par « on est les gentils, ce sont les méchants ».

 Le patriotisme est de fait un des thèmes centraux du roman : nous avons donc interrogé Derek B. Miller à ce sujet, et nous lui avons demandé en quoi le patriotisme avait évolué ces dernières décennies aux Etats-Unis. Derek B. Miller nous répond alors « La guerre au Vietnam était une période où les notions jusque-là admises de patriotisme ont été remises en question, et ce, de manière légitime, par la jeune génération. Il y a différentes manières de servir votre communauté. Servir par les armes est devenu ringard. Il existe une vieille manière de concevoir le patriotisme, qui dit que votre pays est votre parent, que je n’aime pas. En fait, votre pays est votre enfant. C’est à vous de le protéger, de l’aider à discerner le bien du mal. A partir du Vietnam, nous avons grandi, nous sommes devenus matures, jusqu’au 11 septembre où nous sommes redevenus stupides. Le patriotisme doit être relié à un sentiment d’appartenance à une communauté, et quelque part, nous sommes en train de le perdre…Je suis déçu. On va devoir réparer tout ça. »

Nous décidons d’évoquer le mélange étonnant entre drame social et thriller que représente Dans la peau de Sheldon Horowitz. Derek B. Miller nous explique alors qu’avant d’écrire Dans la peau de Sheldon Horowitz, il s’était essayé à plusieurs manuscrits. « Le premier était très désordonné. Je voulais écrire quelque chose dont la structure était plus claire. Un peu comme dans ce film avec Jack Nicholson où le trame peut se résumer à « trouve la fille ». Chez moi, c’est « sauve le garçon » ! ». Le récit peut donc se comprendre selon deux dynamiques : la première va vers l’avant, c’est la fuite de Sheldon et du petit garçon, la deuxième va vers le passé. L’enjeu pour l’auteur était alors de mener ces deux histoires parallèles sans qu’elles ne se dérangent l’une l’autre. C’était un vrai défi pour Derek B. Miller, qui explique que les égarements de Sheldon, qui parle parfois à des fantômes ou se perd dans ses pensées, l’ont véritablement aidé à construire ces récits entremêlés.

Sheldon Horowitz, rappelons-le, se sent responsable de la mort de son fils Saul, au Vietnam, car il l’a encouragé à prendre les armes. Peut-on parler de rédemption finalement pour Sheldon ? Pour Derek B. Miller, ce n’est pas le cas, car il n’y a plus personne à qui demander pardon. Sheldon ne souhaite pas être pardonné, il veut juste faire la paix avec lui-même. Sheldon n’est pas catholique, il n’a pas de figure paternelle à qui demander pardon lors d’une confession.

Quand on lui parle de son expérience en tant qu’auteur, Derek B. Miller explique qu’il a commencé à y songer au lycée, mais qu’il n’a jamais vraiment essayé avant d’avoir vingt-cinq ans, et son départ pour la Suisse, où, de son propre aveu, le fait de ne connaître personne et de ne pas avoir la télévision l’a beaucoup aidé. Il s’est d’abord essayé aux nouvelles, mais cela ressemblait plus à un exercice qu’à un voyage. Il s’est alors attelé à un premier roman qu’il a terminé deux ans plus tard. Pour Dans la peau de Sheldon Horowitz, Derek B. Miller écrivait sur son temps libre, principalement le week-end, tôt le matin. « Le matin créait une atmosphère un peu onirique, idéale pour l’écriture » commente-t-il.  Sur ses pratiques de lecture, il explique « Je ne suis pas un grand lecteur, jusqu’à ce que mon livre sorte, je ne m’intéressais pas aux parutions récentes, je ne savais pas ce qu’était Goodreads, je vais là où le vent me porte. » Quand on évoque ses projets futurs, il nous explique en souriant qu’il a un autre livre en cours de publication, qu’il espère voir publié très bientôt.

 Propos recueillis par Emily et Kévin

Dans la peau de Sheldon Horowitz est désormais en librairie, aux éditions Les Escales.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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