La Vie sexuelle des cannibales, J. Maarten Troost

Vous êtes jeune et aimez l’aventure. Pourquoi ne pas quitter votre vie conformiste d’occidental pour un véritable petit paradis du Pacifique ? C’est le pari que font Sylvia et Maarten à la fin des années 90 en partant s’installer à Tarawa, un atoll perdu au milieu des flots. Qui dit atoll s’imagine un lagon bleu, du sable fin, des cocotiers et des vahinés se dandinant pour le plaisir des yeux. Mais Maarten et sa compagne découvre une réalité bien différente : à Tarawa, qu’ils atteignent après un long périble, la vie n’a rien de paradisiaque : c’est une lutte de chaque instant. Nos deux Américains vont devoir peu à peu renoncer à leur confort occidental et à leurs notions d’hygiène, de dignité et de sécurité. Car à Tarawa, il fait très chaud, on ne peut presque rien cultiver, et le traitement des déchets est des plus approximatifs, se réduisant généralement à tout balancer dans l’océan en espérant que la marée fasse son affaire. Loin de la civilisation, notre couple va devoir procéder à quelques ajustements…

La Vie sexuelle des cannibales, J Maarten Troost, folio 2013

Sylvia et Maarten emménagent donc dans une petite maison sans eau courante, à l’électricité qui saute quotidiennement. La vue ? Magnifique ! Leurs fenêtres donnent sur la plage et le Pacifique…mais également sur les habitants qui défèquent dans l’eau. Le régime alimentaire ? Il se résume au produit de la pêche locale et à du riz. On ne sait jamais vraiment quand on va tomber malade, après l’ingestion d’un poisson avarié. Maarten se prend à rêver d’un bon cheeseburger, ou au moins, d’une quelconque variété alimentaire…Mais ne parlons même pas des habitants, aux mœurs étranges et aux croyances variées. Maarten découvre un gouvernement indolent et peu efficace, des fonctionnaires soit avachis sur leur bureau, soit au contraire extrêmement tatillons, et des règles sociales compliquées.

Maarten, le narrateur, prend toutes ces aventures avec beaucoup d’humour et de fatalisme. La vie sur Tarawa lui réserve bien des surprises, mais pas que des mauvaises. Pendant le temps passé sur l’île, le jeune homme prend peu à peu le pli de la vie insulaire, découvre le plaisir du bodyboard dans une eau d’un beau bleu lagon ou de la voile autour de l’île. Au fil du récit, ses inhibitions tombent, et il est de moins en moins choqué par ce qu’il voit, au point de ne plus redouter les voyages à bord de l’unique avion de la compagnie locale, dont les morceaux rouillés sont dissimulés derrière d’épaisses couches de chatterton (et c’est un exploit, soulignons-le !). L’absurde est la règle à Tarawa, où les coutumes des « i-matang », les étrangers, diffèrent énormément des locaux. Maarten découvre ainsi que les jeunes gens qui traversent son jardin en le saluant de la main ne sont pas des voisins sympathiques et sociaux, mais des hommes qui lui signifient ainsi son mépris et qu’il devrait, selon la tradition locale, les punir de mort. Le dépaysement est total, au point que Maarten aura le plus grand mal à retourner dans son pays d’origine.

Récit autobiographique hilarant, La Vie sexuelle des cannibales ne se résume pas au « récit d’un voyage raté » ou à « l’envers des cartes postales », comme le proclame la quatrième de couverture. C’est un récit extrêmement vivant, qui allie la vie quotidienne de Maarten et Sylvia, avec les commentaires émaillés d’humour de Maarten sur leurs mésaventures, et de nombreux passages sur l’histoire des Kiribati. Ce roman incarne le choc culturel dans toute sa splendeur, entre l’Amérique toute puissante et une petite île coupée du monde, ce qui entraîne bien des quiproquos. Le sarcasme et l’auto-dérision sont les meilleures armes du narrateur face à l’adversité. Les paysages ont beau être sublimes, et la vie très simple, Maarten découvre bien vite que le paradis promis cache en réalité un petit pays dont l’administration part à vau-l’eau, où la dysenterie et les maladies respiratoires emportent bien des enfants, où il n’y a pas d’hôpital digne de ce nom et où, malgré une vie passée à fumer, à boire et à se droguer, personne ne meurt assez vieux pour souffrir d’un cancer ou d’une cirrhose. Idéalistes et écologistes, Maarten et Sylvia essaient à leur manière d’améliorer la vie sur l’atoll, une tâche de titan à laquelle Maarten ajoute le projet d’un grand roman digne de James Joyce. Il ne l’écrira finalement pas, mais se plongera après coup dans l’écriture de ce qui deviendra La Vie sexuelle des cannibales, pour notre plus grand plaisir.

La Vie sexuelle des cannibales, J. Maarten Troost. Folio, 2013.

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