Nous avons beau être en septembre, le temps des voyages n’est pas fini. Le Dilettante vient de sortir un véritable OVNI littéraire, à mi-chemin entre le récit d’initiation à la Candide et une fable loufoque digne des Monty Python, qui vous amènera à considérer Ikea, la célèbre firme suédoise qui meuble depuis déjà des décennies nos intérieurs, d’un autre œil. Roman Puértolas imagine une épopée burlesque, dans laquelle un fakir habillé comme un nabab traverse la Manche coincé dans une armoire Ikea. Entre l’armoire de Narnia, qui nous emmène dans un autre monde où les lions parlent, et celle de Roman Puértolas, qui vous embarque pour une aventure encore plus cosmopolite que L’Auberge espagnole, on se le tiendra pour dit : on ne sait jamais ce qui nous attend quand on rentre dans une armoire.
Tout commence quand un Indien enturbanné débarque à Roissy, un seul mot sur les lèvres. Tour Eiffel ? Sacré-cœur ? Notre-Dame ? Que nenni : ce que le visiteur recherche, c’est un Ikea, tout bêtement. Après avoir roulé un chauffeur de taxi pas très net lui-même, notre Indien débarque au paradis du meuble en kit et découvre l’efficacité redoutable de la firme suédoise. Notre héros s’appelle Ajatashatru Lavash Patel. N’essayez pas de prononcer son nom tout seul, Roman Puértolas vous donnera plusieurs variantes, toutes plus tordantes les unes que les autres, au fil du récit. Ajatashatru est fakir, ce qui veut dire, pour la plupart des gens, qu’il fait des choses en apparence difficiles et douloureuses avec une étonnante facilité, du genre marcher sur des braises et avaler des épées. Vous l’aurez compris, Ajatashatru est en fait un expert en escroquerie, un docteur ès filouterie, une fripouille finie qui ment, vole et arnaque à tout va. C’est justement ce qui l’a conduit au Ikea de Thias Village : il doit passer qu’une journée à Paris, pour acheter un lit à clous, dans un voyage financé par ses voisin crédules. Mais le destin en décidera autrement, et Ajatashatru se retrouvera embarqué dans une aventure complètement folle, qui le fera voyager en Europe et en Afrique en moins de dix jours, voyage qui ne le laissera pas indemne. Car, alors qu’il se retrouve dans des situations toutes plus farfelues les unes que les autres, Ajatashatru se remet en question, et décide de changer de vie. Tout un programme !
Véritable éclat de rire couché sur papier, L’Extraordinaire voyage du fakir qui était coincé dans une armoire Ikea se dévore en un après-midi, pendant lequel le lecteur s’embarque malgré lui dans un voyage complètement barré. Ajatashatru fait de bien belles rencontres au fil de son périple, des rencontres qui le changent et le font grandir. Ses escapades sont le prétexte pour l’auteur d’aborder des sujets plus sérieux, plus graves, comme la situation des clandestins prêts à risquer leur vie étouffés dans des camions en direction du Royaume-Unis ou noyés entre l’Afrique et l’Europe, ou celle des enfants abusés par des occidentaux sans foi, ni loi… L’espace Schengen n’est pas la zone libre et ouverte qu’elle semble, et Ajatashatru découvre, effaré, la manière dont les douaniers se refilent les clandestins comme s’il s’agissait de vulgaires paquets, qu’on cherche à renvoyer le plus loin possible. Le récit rocambolesque d’Ajatashatru cache ainsi un fond sérieux, qui fait réfléchir le lecteur entre deux crises de rire.
Au fil de son périple, Ajatashatru se rêve écrivain : il se met alors à écrire une nouvelle, récit dans le récit. Cette mise en abîme est la bienvenue et entraîne de nouveaux ressorts dramatiques. Ajatashatru, qui a décidément le chic pour se retrouver là où le lecteur ne l’attend pas, découvre à la fois le monde de l’édition et du cinéma dans une scène délicieusement absurde.
Le récit de notre fakir est simple, mais hilarant. Il porte sur le monde occidental un regard décalé, s’étonnant ainsi que le président de la France s’appelle Hollande, et se demandant si cela signifie que le président de la Hollande s’appelle M. France…Vous ne regarderez plus les publicités « Njut ! » de la même manière après ce livre. Le roman de Roman Puértolas est encore plus déjanté que les dernières campagnes de publicité d’Ikea. C’est probablement le meilleur remède contre la morosité de septembre que vous puissiez trouver…
L’Extraordinaire voyage du fakir qui était coincé dans une armoire Ikea,Roman Puértolas. Le Dilettante, 2013. Rentrée littéraire 2013.
Par Emily Vaquié
Bon, eh bien j’ai trouvé mon prochain achat livresque 🙂
C’est l’occasion de découvrir un thème de lecture nouveau pour moi tout en passant un bon moment ! Merci pour cette chronique que j’attendais impatiemment 😀