Suis-je en train de rater ma vie ? C’est la question qui sous-tend tout le premier roman de Sandra Lucbert,Mobiles, qui met en scène un groupe de presque trentenaires, face aux premières exigences de la vie d’adulte. Travailler, tout d’abord. Le temps des études est terminé, ou touche à sa fin, et il faut trouver un emploi, et s’y épanouir. Vaste programme ! Rentrer dans la vie active et se rendre compte que ce dont on avait rêvé n’est pas aussi satisfaisant que prévu est une des expériences que fait ce groupe d’amis, une expérience qui sonne malheureusement juste à la plupart des jeunes adultes diplômés d’aujourd’hui.Mobiles serait-il le roman d’une génération ?
Ils s’appellent Méta, Raphaël, Assia, Mathias, Marianne, Pauline et évoluent dans le milieu de l’enseignement et de la culture et, à moins de trente ans, portent déjà un regard désabusé sur le monde. Ils cherchent leur place dans la société, et perdent parfois leurs rêves en chemin. Résolument parisiens, ils forment l’élite intellectuelle de demain.
Méta, le personnage principal, thésarde, découvre la réalité de l’enseignement en banlieue en période d’émeutes. Les élèves sont sous-cultivés, et ne font pas d’efforts, la direction est condescendante et bornée : Méta tente de faire face, mais sa vocation se heurte avec violence à une réalité pas toujours rose. Pauline, elle, a jeté l’éponge à peine diplômée. La vision de l’enseignement en banlieue est un peu caricaturale, mais passe encore. Ce que Sandra Lucbert montre, c’est surtout le manque de préparation des jeunes professeurs à la pratique du métier. Ces jeunes sont jetés dans la cage aux lions sans véritable formation pédagogique, et sont méprisés par l’équipe enseignante déjà en place. Être professeur n’a rien de réjouissant en 2013, comme le montre le personnage de Méta.
Ces jeunes sont très différents, mais sont unis par la peur de l’avenir, et la difficulté de se faire une place dans un Paris hostile, dans une France en crise. Ce portrait d’une jeunesse déçue et blasée n’est pourtant pas universel : les personnages sont tous cultivés et ultra-diplômés, en témoignent les nombreuses références un brin pompeuses qui émaillent le récit, et ne représentent pas totalement la jeunesse d’aujourd’hui. Le lecteur lambda découvrira avec un certain effarement la vie des thésards, qui se cachent à la bibliothèque nationale en prétendant avancer leurs recherches afin de conserver leur allocation. Raphaël, féru de cinéma, et magasinier à la BNF, porte notamment un regard acerbe sur ces chercheurs qui paraissent bien vains. Il est assez donc difficile de plaindre ce groupe qui ne paraît pas très courageux, mais est en revanche très nombriliste. Cette élite intellectuelle semble peu préparée aux aléas de la vie, et on a bien envie de leur dire de se prendre (enfin) en main. On se demande ce que ces jeunes deviendront dans dix, quinze ans.
Le récit de Sandra Lucbert, s’il comporte une dimension sociologique non négligeable, se lit pourtant avec fluidité, car, si les personnages agacent plus qu’ils ne convainquent, l’intrigue est servie par un style plaisant et bien rythmé. Ce roman polyphonique est plutôt prometteur.
Mobiles, Sandra Lucbert. Flammarion, 2013. Rentrée littéraire 2013.
Par Emily Vaquié
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