Années 60 : on en a retenu les Beatles, une certaine libération de la société, plusieurs révolutions culturelles. Mais les années 60 n’ont pas fait que des heureux : conflits géopolitiques dramatiques, trafics en tous genres, et objecteurs de conscience font également partie de cette période prolifique. Mais sous les strass, les paillettes, et derrière l’apparente libération des mœurs se cachent de bien sordides affaires.
Londres, 1968. Le cadavre nu d’une jeune femme est retrouvé dans les ordures d’une résidence. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Cathal Breen pense à une des nombreuses fans des Beatles, qui campent jour et nuit près du célèbre studio. Vieux garçon à la carrière fragilisée par un regrettable accès de lâcheté qu’il essaie désespérément de racheter, Cathal Breen est totalement dépassé par son époque et ses évolutions. Ce qu’il ne manque pas de constater lorsqu’on lui colle comme adjointe… la première femme inspectrice de la brigade, une femme volontaire et au caractère bien trempé. Du jamais vu ! Et qui va obliger Breen à faire face à ce monde changeant, qui le laisse quelque peu désemparé. Et d’autant plus que cette enquête va le faire plonger dans des aspects de son époque qu’il est loin de soupçonner.
Du sang sur Abbey Road est un polar d’ambiance ; dès les premières lignes, on plonge dans une époque finement rendue dans ses bouillonnements, ses élans enthousiastes et ses contradictions. Dès le début, on sait que l’intrigue est plus complexe qu’il n’y paraît. Il y a cette jeune morte inconnue dont personne n’a signalé la disparition, ou même réclamé le corps. Il y a les Beatles, qui forment un arrière-plan dense, et toute l’atmosphère de scandale qui empreint l’époque. Il y a aussi cette famille noire qui vient tout juste d’emménager derrière la résidence. Et ça, c’est très suspect aux yeux des voisins de la résidence. Alors qu’ils rêvent d’aider leur pays, le Biafra, en plein conflit, les voisins les voient – au mieux –comme des nuisibles venus voler argent, travail, habitations et, pourquoi pas, assassiner d’honnêtes jeunes Britanniques.
L’ambiance est donc au beau fixe.
Plongeant dans ce marasme de racisme, teinté de drogues, de libération sexuelle et dans l’épineuse question de l’immigration, Cathal Breen tente difficilement de concilier enquête, vie personnelle et compréhension d’un monde en pleine mutation.
Dépassé, mais honnête avec lui-même, l’inspecteur est un personnage que l’on suit avec beaucoup d’intérêt : dans l’enquête, bien sûr, mais surtout dans ses questionnements, qui font revivre cette époque. Lui s’inquiète autant pour la jeune assassiné que pour les exilés luttant pour un pays incompris, ou pour le maquillage qui orne soudain le visage de son adjointe. Est-ce bien correct, pour une jeune femme honorable ?
On est à la charnière de deux époques, et cela se ressent.
Du sang sur Abbey Road met donc en scène le choc entre plusieurs sociétés : celle qui écoute de la musique pop, apprécie les mini-jupes, et rêves à toutes sortes de libérations et celle, de l’autre côté, qui a des vues plutôt passéistes.
La galerie de personnages est épatante : complexes, attachants, reflets de l’époque, on les suit avec grand plaisir, surtout le duo atypique d’inspecteurs.
L’intrigue est très prenante : rapidement, il apparaît que le meurtre cache une affaire plus compliquée qu’il n’y paraît. Le style est nerveux, les dialogues vifs, et le suspens toujours présent : on n’a pas le temps de s’ennuyer. L’auteur étoffe son intrigue de différentes petites histoires qui viennent s’y entremêler : histoires personnelles des inspecteurs, de leurs proches, ou autres enquêtes de la brigade. Le tout crée un maelström d’histoires imbriquées venant nourrir l’enquête principale et la rendant encore plus passionnante.
En commençant Du sang sur Abbey Road, vous pouvez oublier les clichés les plus courants sur les années 60, car on est bien loin des instants Peace & Love. C’est avec un soin extrême que William Shaw recrée cette ambiance et ce contexte social si particuliers : on visite l’envers du décor, et on découvre des années moins glamour et libérées qu’on le croyait.
L’intrigue, plein de suspens, est menée tambour battant : pas de temps mort, pas le temps de souffler ; jusqu’aux derniers chapitres, on se demande comment vont s’agencer les multiples ramifications de cette sombre affaire. Maîtrisé de bout en bout, servi par un récit terriblement prenant, une ambiance magistrale, des personnages travaillés et criants de réalisme, et mettant en scène les aspects les moins glorieux d’une époque quelque peu fantasmée, Du sang sur Abbey Road est un excellent polar. Mieux, c’est du grand art !
Du sang sur Abbey Road, William Shaw. Les escales, 23 janvier 2014.
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