Le Grand cœur : épique !

Le Grand Cœur, c’est le moyen-âge comme vous ne l’avez jamais lu : vivant, chatoyant, exotique, à l’instar du léopard qui, un jour, de manière étonnante, croise la route du jeune Jacques, le héros et narrateur de ce grand roman. Fils d’un pelletier, et donc d’un petit bourgeois, Jacques Coeur grandit à Bourges, dans une France en guerre, mais pas n’importe quelle guerre : une des plus célèbres de notre histoire, celle qui ne dura pas cent ans, mais plus, en réalité. Pourtant, l’enfance de Jacques est insouciante : la guerre est lointaine, l’objet de contes cruels que l’on se raconte pour s’effrayer, de ragots, voyageant de villages et villages. Cette rencontre improbable avec un animal sauvage, véritable promesse d’ailleurs, conditionnera la vie de Jacques, en lui laissant entrevoir la possibilité d’autre vie, d’un autre monde : l’Orient. Un Orient langoureux, luxueux, cultivé, mais bien lointain pour l’enfant qui évolue dans la grisaille de Bourges.

Jacques grandit, fait un bon mariage, et se lance dans les affaires. L’homme a des rêves, et des projets. Il a également et surtout beaucoup d’ambition. Le voilà bientôt proche du roi Charles VII, un roi chétif, malingre, retors, qui se bat aussi bien contre les Anglais que contre les grands nobles de France. Jacques sait que la faveur du roi peut se retourner un jour contre lui mais il fait le pari de l’aider à construire une nouvelle France, de faire de son pays un carrefour commercial de grande importance. Voire même le centre du monde !

Jean-Christophe Rufin dresse le portrait d’un homme avec ses doutes et ses rêves qui, à la fin de sa vie, porte un regard sans concession sur sa vie. Il donne relief et vitalité à ce personnage historique somme toute peu connu, et écrit des mémoires fictionnelles qui font honneur à Jacques Cœur. Chacun des personnages ici croqués l’est avec beaucoup de finesse, de mgrandcoeuranière très visuelle, tant et si bien que le lecteur a l’impression d’assister bel et bien aux scènes décrites. Ah, la magie de la littérature, quand l’auteur a la pleine maîtrise de son talent ! Mais, encore davantage que ses personnages, Jean-Christophe Rufin réussit tout particulièrement ses atmosphères : quand Jacques prend la route, le lecteur a l’impression d’être avec lui sur les chemins poussiéreux de France, de voir, enfin l’étendue bleue de la Méditerranée pour la première fois, de débarquer à Alexandrie, et de profiter des plaisirs de cet Orient lointain et exotique, avec ses soieries, ses huiles et ses épices. La grisaille de la France, sa boue, ses guerres forment un contraste saisissant avec cette terre gorgée de soleil, véritable carrefour des cultures, où Jacques peut rencontrer des marchands venant de tout le monde connu.

Jacques Cœur aura mené une vie véritablement romanesque, aura connu grandeur, puis déchéance, la richesse la plus inouïe, puis  la prison, la fuite. Il aura côtoyé et correspondu avec les plus grands : le Roi, le Pape, le Sultan d’Egypte, tout en restant simple. Grâce à Jean-Christophe Rufin, le moyen-age sort des livres d’histoire pour se parer des plus belles couleurs de la fiction. Le Grand Cœur est un roman très fin, intelligemment mené, qui se déguste avec délice.

Le Grand Cœur, Jean-Christophe Rufin. Gallimard Folio, janvier 2014.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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