Si le roman de Gore Vidal s’intitule Hollywood, Washington aurait probablement été un titre plus juste, plus approprié car si Gore Vidal explore l’explosion du cinéma, il nous entraîne surtout dans les coulisses du pouvoir américain. Quand le roman s’ouvre en 1917, les Etats-Unis s’apprêtent à entrer en guerre contre l’Allemagne. Cela fait déjà plusieurs années que la guerre ravage l’Europe. Jusque là, les Américains sont restés en retrait, observant les événements déchirant le vieux monde avec détachement et un brin de mépris pour les querelles du continent. En 1916, le président Wilson a été réélu sur la promesse de ne pas s’engager dans ce conflit. Pourtant, en 1917, l’Amérique entre en guerre.
Caroline Sanford est une femme à poigne : à l’aube de l’âge mûr, elle est la propriétaire efficace et réputée du Washington Tribune : elle évolue aussi bien dans la bonne société que dans les cercles les plus étroits du pouvoir. Elle est ainsi amie avec Eleanor Roosevelt, donc le mari sera le fameux père du New Deal, est la maîtresse de sénateur Burden Day et connaît personnellement le couple Wilson. Avec son demi-frère Blaise, Caroline contrôle un des journaux les plus influents de la capitale.
Alors que la guerre occupe les esprits et révolte l’Américain moyen qui ne comprend pas bien pourquoi il devrait donner son sang pour un continent que ses ancêtres ont autrefois quitté, un nouvel art explose : le cinéma. Invention encore récente, le cinéma est pourtant déjà une industrie très rentable, et les premières super stars sont nées : elles s’appellent Douglas Fairbanks, Mary Pickford et Charlie Chaplin et ont fait fortune en très peu de temps. Leurs visages sont connus de tous, et leur présence suscite des mouvements de foule comme on n’en a jamais vus. Certains politiciens ont très vite compris l’influence de ces acteurs, et du Hollywood naissant. Caroline est donc envoyée à Hollywood pour influencer les réalisateurs et acteurs, afin de produire des films patriotiques, « anti-boches ». Caroline devient par la force des choses actrice, sous le nom de scène d’Emma Traxler.
Nous suivrons Caroline, mais également Blaise, le sénateur Burden Day, ou encore Jess, de l’entourage de WG Harding, de 1917 à 1922. La période connaîtra de nombreux bouleversements, tant en politique qu’au cinéma. Le lecteur est invité à déchiffrer les arcanes du pouvoir : il pénètre au Sénat, découvre les coulisses d’une élection présidentielle. Il assiste aux manipulations politiques, aux stratégies des uns et des autres. C’est l’Histoire qui se construit sous ses yeux, et il a beau la connaître, il la dévore avec passion. Le lecteur français apprend les réticences du peuple américain face à la guerre en Europe et qu’il préfère se voir comme la terre d’accueil de ceux que le vieux monde lasse ou chasse plutôt que comme le gendarme du monde. Gore Vidal montre comment l’opinion politique s’est alors déchirée, entre pacifistes et belliqueux. Toute la mécanique politique se dévoile, et le lecteur entre même dans l’intimité de la Maison-Blanche. Le lecteur rencontre des grands noms, dont six présidents (trois en poste, un ancien, et deux à venir) au fil des pages.
En parallèle, le lecteur découvre l’évolution de Hollywood : en l’espace de cinq ans, Hollywood gagne en importance. Perçue comme une manne financière, l’industrie du cinéma produit des films à foison. En 1917, Mary Pickford est la reine d’Hollywood, la toute première. Chaque réalisateur rêve de découvrir à son tour l’actrice qui fera rêver les hommes et inspirera les femmes. Mais Mary Pickford est unique. Sa romance avec l’acteur Douglas Fairbanks, autre superstar de l’époque, sera probablement le premier événement people de grande ampleur.
Avec Caroline, devenue actrice, nous découvrons les coulisses des premiers films, les spots aux lumières aveuglantes, qui font fondre le lourd maquillage dont sont parés les visages, les tournages à l’aube ou au crépuscule, parce que la lumière est plus flatteuse pour les acteurs, l’émotion qui étreint les spectateurs, encore peu habitués à voir se jouer des scènes tristes à l’écran. Gore Vidal n’est pas avare d’anecdotes, et nous raconte notamment que pour les premiers films, il n’y avait pas de script et que les acteurs se racontaient des histoires cochonnes, jusqu’à ce que le public apprenne à lire sur les lèvres. Le cinéma était alors une industrie en pleine expansion, et, sans la concurrence de la télévision ou d’internet, suscitait une véritable passion chez les spectateurs.
Roman passionnant, véritable portrait politique et culturel d’une époque charnière, Hollywood séduit son lecteur, malgré quelques longueurs arides lorsque les discussions politiques s’éternisent. On déplore juste un travail éditorial franchement bâclé, qui a laissé de nombreuses fautes orthographiques et typographiques d’autant plus honteuses que le livre n’est pas vraiment donné. Cette considération mise à part, Hollywood est un roman idéal pour comprendre l’importance du cinéma dans les années 10 et 20, et la politique des Etats-Unis.
Hollywood, Gore Vidal. Galaade éditions, août 2013.
En rapport avec le cinéma, j’ai adoré Le dernier Nabab de Scott Fitzgerald. Je note ce titre, je pense le lire avant mes vacances US. Merci pour cet avis très bien écrit.