J. Courtney Sullivan, auteur des Débutantes et de Maine, nous avait confié l’année dernière préparer un nouveau roman autour de la célèbre catchline « A diamond is forever ». Et effectivement, cette phrase est bel et bien au cœur de son nouveau roman, sobrement intitulé Les Liens du mariage : elle signe un nouveau roman choral, dont les intrigues courent de 1947 à nos jours.
Rendons à César ce qui est à César : le roman de J. Courtney Sullivan s’ouvre sur le récit de Frances Gerety, la publicitaire à l’origine du fameux slogan « A diamond is forever » qui, en 1947, essaie de s’imposer dans un monde d’hommes, la publicité, dans une ambiance très Madmen (les clopes, le whisky et New York en moins). Puis le récit donne voix à Evelyn, une institutrice à la retraite de 1972, qui voit avec horreur se déliter le mariage de son fils : les mœurs évoluent, et les institutions qui sont sacrées pour Evelyn ne le sont plus pour la jeune génération. Puis, on découvre James, un ambulancier franchement fauché des années 80, qui rêve de pouvoir racheter à son épouse l’alliance qu’une petite frappe lui a dérobée. Nous faisons un bond jusqu’aux années 2000, et à l’histoire de Delphine, une quadragénaire française qui a tout quitté pour suivre un Américain à New York : après une année de passion, leur histoire se délite. Enfin, en 2012, nous découvrons Kate, résolument opposée à l’idée de se marier, en pleine préparation du mariage de son cousin…
Ces diverses histoires sont forcément amenées à se croiser : mais J. Courtney Sullivan prend son temps pour poser son intrigue, si bien que le lien entre ses personnages n’est pas tout de suite évident. Elle parvient avec une certaine adresse à nous attacher à ses différents personnages, même à Kate qui agace un peu au début tant ses jugements sont tranchés, même à Delphine qui, femme trompée, détruit avec violence et méthode l’appartement de son ex. Nous finissons par les comprendre, tous, même James, qui, acculé, commettra une belle bêtise.
Ces fragments de vie nous permettent d’intégrer différents mondes et milieux sociaux : avec Delphine, le lecteur redécouvre Paris puis se plonge dans les New York des expat’. On vit la défiance américaine après le refus de la guerre en Irak par la France, la passion de Delphine pour Montmartre, son envie de changer de vie. J. Courtney Sullivan se tire très honorablement de cette épreuve en dressant un portait de Française plutôt réussi : elle n’évite pas quelques clichés, forcément, mais globalement, elle se sort des plus gros écueils. Avec James, on plonge au contraire dans le quotidien de l’Américain moyen, celui qui vit à crédit et peine à joindre les deux bouts. Et, tel un fil rouge, l’histoire réelle de Frances Gerety continue tout au long du roman : le destin d’une femme dévouée corps et âme à son métier, mais terriblement seule. Frances Gerety a consacré sa carrière à la promotion du diamant et, au delà, du mariage : pourtant, à titre personnel, elle a fait fi des conventions, en refusant le rôle d’épouse et de mère que la société avait prévu pour elle. Courageuse et travailleuse, elle vivra de plein fouet l’évolution du monde de la publicité, du déplacement du centre de gravité du milieu vers New York à l’émergence de la télévision toute puissante.
Roman réussi, au sens où il se lit avec beaucoup de plaisir, Les Liens du mariage demeure cependant un poil en-dessous de Maine. Grâce à une galerie de personnages tous très différents, et touchants à leur manière, Les Liens du mariage nous fait vivre une palette d’émotions assez variées : on est triste pour Frances, seule à la fin de sa vie, on est furieux pour Delphine, qui a tout perdu après sa rupture, on est choqué quand James commet l’irréparable. On a hâte de voir ce que J. Courtney Sullivan écrira ensuite.
Les Liens du mariage, J. Courtney Sullivan. Rue Fromentin, mars 2014. Traduit de l’anglais par Anne-laure Paulmont et Frédéric Collay.
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