La collection Belfond Vintage continue d’exhumer des textes longtemps oubliés, et pourtant des plus intéressants. Irmgard Keun, l’auteur d’Après Minuit, a eu une vie véritablement romanesque : elle a notamment assigné la Gestapo en justice quand ses livres, jugés trop féministes, sont censurés, a vécu l’exil, et a mis en scène un faux suicide pour rentrer en Allemagne sous une fausse identité. Après Minuit a été publié en 1937, et fait preuve d’une rare clairvoyance. On y rencontre Suzon, jeune, vive, naïve : elle vit à Francfort et nous sommes en 1936. La ville est en liesse, car Hitler va bientôt venir en visite. Suzon ne connait rien à la politique, elle s’intéresse surtout aux garçons, dont son cousin, dont elle est amourachée. Mais sous des couverts insouciants, Suzon a peur : elle pressent que quelque chose est pourri au royaume du Danemark… sous la fête, l’horreur couve.
Irmgard Keun nous offre une véritable photographie prise sur la vif de la vie de l’Allemand moyen sous le régime hitlérien. A travers le regard d’une adolescente ni particulièrement vive, ni particulièrement maline, banale dans l’absolu, Irmgard Keun montre comment l’horreur s’insinue dans le quotidien, à travers des scènes qui paraissent de prime abord anodines mais se révèlent de plus en plus effrayantes au fur et à mesure que le récit avance. Suzon rêve de pouvoir vivre avec son cousin et de tenir une boutique avec lui. Celui-ci lui raconte comment un concurrent jaloux l’a tout bonnement dénoncé pour éviter de perdre une partie de sa clientèle : il lui narre la peur, l’incompréhension, l’absurdité, la perte des illusions. Suzon, sous ses dehors d’ingénue, fait des remarques qui sont loin d’être dépourvue d’intérêt : elles fournissent un témoignage de premier plan de la vie dans l’Allemagne du IIIe Reich. Elles montrent comment la pensée nazie s’est normalisée, dans tout ce qu’elle a de terrible : le destin de la pauvre petite Berthe montre l’embrigadement des familles, dans ce qu’il a de plus tragique. Cette scène, probablement la plus touchante du roman, et la plus mémorable, montre une jeunesse prête à tout pour le Führer, avec l’appui des parents, désireuse de tout donner, jusqu’au dernier souffle.
Un récit véritablement unique qui, sous l’humour et la vivacité de l’héroïne, dissimule une satire véritablement caustique du régime hitlérien, écrit et publié alors qu’il était encore en place.
Je l’ai reçu un peu par hasard dans ma BAL et il ne me tentait pas vraiment mais ton billet me le fait voir sous un tout autre jour et j’ai désormais très envie de le lire, et aussi de découvrir ce qui attend la petite Berthe…
Bisous
Attention, c’est particulièrement triste.
Merci de ton passage ! 🙂