Un ange-gardien octogénaire, des corbillards cabossés, un ouragan et un feu de forêt, une fille qui atterrit en neurochirurgie, un ange proxénète, un protégé qui en pâtit ; ainsi sont les ingrédients d’un roman piquant où l’on ne s’ennuie pas une seule seconde. Arto Paasilinna, célèbre auteur finlandais, revient cette année avec Les mille et une gaffes de l’ange gardien Ariel Auvinen, où quiproquos et rebondissements sont les pierres angulaires d’un roman surprenant et désarmant qui, s’il était adapté au genre théâtral, pourrait – presque – devenir un vaudeville au comique de répétition imparable.
Dès son arrivée au ciel, l’ange Ariel Auvinen se voit confier par l’Ange Gabriel une mission céleste de la plus haute importance : protéger un mortel au doux nom finlandais de Aaro Korhonen (plus prononçable que les noms des personnages secondaires) et ainsi tenter de rendre son existence aussi douce et longue possible – sans dommages collatéraux. Cependant, l’ange gardien, à trop vouloir bien faire, détruit, petit à petit, par le feu, le vent et les marées, la si paisible existence de son protégé.
Ainsi, les péripéties de l’ange gardien se répercutent directement dans l’existence, pourtant bien tranquille au départ, d’Aaro Korhonen. Il y a dans ce roman une naïveté immodérée, un aveuglement sans pareille mesure qui se traduit par un enchaînement de péripéties, sans que l’auteur ne laisse au lecteur accéder à la psychologie du personnage malchanceux – comme si ce roman n’était qu’une succession de piètres décisions célestes de l’ange gardien, risibles et bien souvent ridicules. Il manque à ce roman, comique et honnête, cette dimension psychologique et ce ton un peu plus solennel qui auraient porté le lecteur à la réflexion. En 210 pages de romance effrénée, Arto Paasilinna maltraite ses personnages, fait s’enchaîner les déboires, les gaffes délirantes, les traumatismes et les morts à une vitesse effroyable, sans laisser au lecteur le temps de reprendre son souffle.
Au travers des simples gaffes de l’ange gardien Ariel Auvinen se pose la question – universelle – du libre-arbitre de l’espèce humaine. Arto Paasilinna met en scène, d’une manière quoique très simpliste et parfois réductrice, l’Homme dans son existence, avec un questionnement qui aura, au travers des siècles et indépendamment des religions, tracassé une nuée d’individus troublés par leur place dans l’univers, l’impact de leurs décisions sur leur destinée. Sommes-nous seuls ? Quel est notre rôle ? Sommes-nous les maîtres de notre destin ? Dans un roman typiquement manichéen, Arto Paasilinna met en scène l’absurdité d’une vie humaine, désacralise les Hommes – à mille lieues de s’imaginer les batailles célestes qui s’opèrent, invisibles, sous leurs cieux –, qu’il présente comme de vulgaires marionnettes, sous l’égide d’anges gardiens parfois godiches et de démons sans scrupules. Le hasard est banni de ce monde où deux forces sont en conflit. L’espèce humaine, manipulée par un bataillon d’anges formés à la va-vite, est loin de s’imaginer que ce monde qui va à vau-l’eau n’est en fait que le fruit de tentatives de bonheur ratées par des anges gardiens malhabiles, fonctionnaires de la chance, bonnes étoiles capricieuses qui ne représentent pas toujours les archétypes de la vertu. Et Aaro Korhonen, malheureux héritier d’un ange gardien saboteur, n’en souffrira que davantage.
Arto Paasilinna possède un rapport particulier avec la mort : d’une plume drôle, imaginative, osée, il pare cette grande faucheuse qui rôde et vous cisaille d’un style humoristique et d’une écriture innocente – qui la rendrait presque agréable si elle ne tuait pas –, devenant ainsi cette « malheureuse mésaventure » qui peut s’abattre sur chacun d’entre-nous, dans une mort noyée d’optimisme et d’ingénuité. La religion chrétienne, elle, en prend pour son grade, au travers d’un ange gardien qui n’écoute que ses envies et qui, de morale chrétienne, n’a probablement pas suivi tous les cours lors de sa grande formation théologique… Bref, Arto Paasilinna nous présente un roman surprenant et délirant, au titre incroyablement attachant, dans lequel le lecteur reste malgré tout un peu sur sa faim…
Un auteur que j’ai très envie de découvrir! =)