L’Ile du point Nemo : Ici sont les monstres

Lorsque l’on ouvre un livre de Jean-Marie Blas de Roblès, après avoir admiré la magnifique couverture de David Pearson, designer attitré des éditions Zulma, on prie pour qu’il soit à la hauteur du monumental Là où les tigres sont chez eux, Prix Médicis 2008. Avec La montagne de minuit, la déception était grande. Les nouvelles de La Mémoire de Riz, réédition d’un recueil initialement paru au Seuil dans les années 1980, étaient plaisantes. On retrouvait avec plaisir l’un des protagonistes de Là où les tigres, mais rien d’inoubliable non plus.

Convaincu pourtant que Jean-Marie Blas de Roblès possède un sens unique de la narration et de la création de personnages et d’univers infraréalistes, on se laisse séduire par L’île du point Nemo dont, heureuse surprise, l’épaisseur se rapproche de l’œuvre magistrale citée plus haut.

Et l’on fait bien car ce nouveau roman ne démérite pas.

Dans un univers post-apocalyptique proche de l’esthétique steampunk et freak, le dandy opiomane de Biarritz Martial Canterel est invité par son vieil ami Shylock Holmes (aucun lien de parenté avec un monsieur de Baker Street)  et son majordome Grimod à partir à la recherche d’un diamant de grande valeur dérobé dans le coffre-fort de Lady Mc Rae. L’aventure va les mener jusqu’au bout du monde (au sens littéral), d’énigme en énigme et de rebondissement en rebondissement. Le roman constitue un hommage appuyé à la littérature d’aventure du XIXe siècle, Jules Verne en tête comme le laisse deviner le titre de l’ouvrage. On trouve également de nombreuses références aux grands classiques de la littérature policière, Arthur Conan Doyle bien sûr, Maurice Leblanc et son Arsène Lupin, Pierre Souvestre et son Fantomas. Et enfin la littérature fantastique avec Le Mythe de Cthulhu de H. P. Lovercraft.

L'Ile du point Nemo

Jean-Marie Blas de Roblès parvient par petites allusions à mettre en place un monde fascinant et inquiétant, un futur relativement proche dans lequel le pétrole est épuisé. L’autobus qui sert de véhicule à Martiel Canterel fonctionne au méthane issu de la décomposition des déchets organiques, a une autonomie de deux cents kilomètres et nécessite une demi-heure pour le rechargement. La France en est, semble-t-il à sa sixième République et la Russie a sombré dans le chaos des seigneurs de guerre, fanatiques religieux ou athées intransigeants. Et surtout, les livres imprimés ont disparu, remplacés par des liseuses équipées de dynamos. On trouvait déjà cette crainte de l’auteur dans l’une des nouvelles du recueil La Mémoire de Riz.

Comme à son habitude, Jean-Marie Blas de Roblès entrecroise le récit principal avec plusieurs récits secondaires dont les liens ne s’éclairent qu’à la fin de l’ouvrage, façonnant plusieurs romans en un seul. Le procédé fonctionnait parfaitement dans Là où les tigres sont chez eux mais paraît plus bancal dans L’île du point Nemo. L’auteur suit, en parallèle aux pérégrinations de Canterel, Holmes, Grimod et Lady McRae, l’histoire du directeur chinois d’une usine de liseuses dans le Périgord, fanatique des concours de pigeons voyageurs et pervers notoire, de sa directrice des ressources humaines transexuelle, de deux de ses employés amoureux platoniques, un autre impuissant et enfin d’un ancien gérant d’une fabrique de cigares dont la femme, plongée dans le coma, défendait la tradition de la lecture de romans dans les manufactures. Ces intermèdes ne sont pas désagréables et l’on comprend bien toute la défense du grand roman d’aventure qu’ils renferment, mais ils restent largement moins intéressants que la quête principale et s’articulent mal avec elle. C’est dommage mais cela ne gâche en rien le plaisir de lire ce qui est l’un des grands romans de la rentrée 2014.

L’île du point Nemo, Jean-Marie Blas de Roblès. Zulma, 2014.

Par Antoine-Gaël

2 Commentaires

  1. Que vous n’ayez pas pas accroché à « La montagne de minuit », certes, pourquoi pas. Mais sachez que « La mémoire de riz » à propos duquel vous faites la fine bouche, est le premier livre écrit et publié par Blas de Roblès, dont le manuscrit arrivé par la poste aux éditions du Seuil a immédiatement bénéficié de l’avis UNANIME du comité de lecture de l’époque (chose rarissime, s’il est besoin qu’elle soit soulignée). La critique fut ensuite unanime à saluer ce jeune auteur (25 ans, je crois) qui avait tout l’avenir des lettres devant lui… et dont l’ouvrage remporta le prix de la Nouvelle de l’Académie française. De Roblès publia ensuite deux romans assez déroutants avant de se mettre à « ses tigres » et de traverser le désert que l’on sait, faute d’éditeurs assez couillus pour publier cette oeuvre monstre…
    Alors, la critique est aisée, l’écriture certainement beaucoup moins et si de Roblès n’avait pas commis « La mémoire de riz » (qui contient en substance nombre de ses thèmes récurrents), il n’y aurait jamais eu les deux monuments que l’on connaît maintenant…
    Donc, un peu de nuance dans votre jugement, s’il vous plaît !!!

  2. Cher Monsieur ou Madame,

    J’ai assez dit dans mon article, je crois, à quel point j’aime Jean-Marie Blas de Roblès et n’ai pas affirmé que « La mémoire de riz » déméritait. Je me réjouis d’ailleurs que Zulma ait republié ce recueil de nouvelles, même s’il m’a moins enchanté que l’immense « Là où les tigres sont chez eux ». Donc, un peu de nuance dans vos attaques, s’il vous plaît !!!

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