L’Innocence : portrait d’une amitié vénéneuse

Avec une couverture sombre et vaguement menaçante, Super 8 donne le ton : L’Innocence, le roman de Brian Deleeuw, sera glauque et effrayant, faisant du récit d’une amitié vénéneuse le point central de son histoire. Dans un poing serré, tendu, un oiseau frêle et innocent, fermement maintenu dans une poigne de fer… Une métaphore évidente du destin de Luke qui, à six ans, fait une « rencontre » qui bouleversera l’essence même de son existence.

Les parents de Luke sont en train de se séparer, la mère de Luke est dépressive et son père est déjà sur le départ vers une nouvelle vie. Lorsqu’au parc Luke rencontre Daniel, une amitié instinctive se noue entre les deux garçons, et Claire, la mère de Luke, ne voit pas à mal. Mais Daniel n’est pas un enfant normal : les notions de bien et de mal ne sont pas très claires dans sa jeune tête, et Daniel sait se montrer extrêmement possessif, et très convaincant. Luke est influençable : il se laisse peu à peu entraîner par Daniel qui veille soigneusement à l’isoler, éloignant de lui toute distraction potentielle, chien, amis, et même mère…

Claire parvient cependant à éloigner Daniel et son influence nocive de son fils. Mais, douze ans après, Claire fait une grave dépression et Daniel revient subitement dans la vie de Luke. Luke doit lutter de plus en plus pour conserver le contrôle de sa vie. Daniel, lui, a une nouvelle idée derrière la tête : il ne veut plus être juste être le meilleur ami de Luke… ce qu’il aimerait… c’est être Luke, tout simplement.

La sensation d’oppression apparaît dès les premières pages, dès la couverture, peut-être. Il n’y a rien d’anodin dans ce roman, pas même les jeux d’enfant de Luke et Daniel, pourtant en apparence innocents. Brian Deleeuw a su construire son atmosphère avec talent : effectivement, on frissonne. Le moindre détail peut devenir effrayant, à l’instar de la maison de poupées dans la chambre de Luke, dont les personnages en porcelaine semblent vivre leur propre vie… Si la tension est omniprésente, le suspense, lui, est éventé assez rapidement : ce n’est finalement pas le véritable enjeu du roman. Qui est Daniel au fond ? Vous le saurez assez vite. La véritable question c’est qui de Luke ou de Daniel réussira à s’en sortir et à triompher de l’autre.

L'Innocence : portrait d'une amitié vénéneuse

Les deux garçons grandissent de concert. Luke doit gérer les crises d’angoisse de sa mère, et semble devoir grandir trop vite. A dix-huit ans, le jeune homme est instable, indifférent, malléable : la proie rêvée pour l’opportuniste Daniel, ravi de pouvoir peu à peu ciseler Luke à son image. Le lecteur reste passif, ne s’implique pas dans le récit : il garde cependant les yeux grands ouverts, curieux de savoir comment va se terminer ce roman. Quelques longueurs égarent parfois l’attention du lecteur : plongé dans la psyché de Daniel, aux idées récurrentes, on découvre la vie de Luke comme à travers un miroir déformant.

Roman étonnant, et vaguement « tordu », L’Innocence déconcerte comme il peut séduire. Si l’atmosphère est particulièrement réussie, toute en tension et en menace, et si la fin est très finement jouée, on ne peut s’empêcher de ressortir de cette lecture un poil déçu. Peut-être espérait-on secrètement un poil plus de personnalité de la part de Luke… Mais n’est-ce-pas ainsi le meilleur moyen d’accentuer le contraste avec Daniel, si affirmé ? L’Innocence est de ces livres qui dérangent, étonnent et interrogent : je ne serai pas surprise qu’il entraîne chez ses lecteurs des sentiments extrêmes : on aime ou on déteste.

L’Innocence, Brian Deleeuw. Super 8 éditions, septembre 2014. Traduit de l’anglais par Claro.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

3 Commentaires

  1. Eh bien le résumé me laissait un peu perplexe et après cette chronique, je ne sais toujours pas si j’ai envie de le découvrir ou pas. Que d’indécision… Tu as absolument raison sur la couverture, elle annonce déjà la couleur !

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