Ma mère et moi ou le dialogue silencieux

Comme son narrateur, Brahim Metiba a quitté son Algérie natale pour la France ; la notion de différence l’a interpellé très tôt, et a constitué le noyau de son travail d’écrivain. Son premier roman, Ma mère et moi, vient de paraître chez Mauconduit et sera suivi, en octobre, d’un second texte, consacré cette fois à son père : Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi.

Le narrateur a 37 ans, il est né en Algérie mais vit en France depuis 14 ans. Sa mère, elle, vit en Algérie. C’est un intellectuel, elle ne sait ni lire ni écrire. Il est homosexuel, et elle rêve qu’il épouse une musulmane. Ils se voient rarement.
Quatorze ans en France, et la mère sent bien que le fils a changé. Au cours d’une de ses visites, le fils lui propose de lui faire la lecture du Livre de ma mère, d’Albert Cohen, dans l’espoir que cette lecture permettra de renouer le dialogue, et d’amener sa mère à réfléchir.

« Je vois rarement ma mère. Elle m’appelle régulièrement, nous parlons de cuisine. Je l’appelle régulièrement, nous parlons de cuisine. »

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Le texte ne fait qu’une soixantaine de pages ; c’est un récit court, mais particulièrement intense. Dialogue biaisé, il évoque la lecture du livre du fils à la mère, avec les idées que le fils aimerait véhiculer, et les réactions – silencieuses, la plupart du temps – de part et d’autre. Or c’est quasiment un monologue, car lui ne dit pas tout (ou du moins pas clairement), et elle refuse d’entendre (bien qu’elle ait parfaitement compris). Murés dans leur silences, les protagonistes échangent selon des rituels presque sacrés constitués de non-dits habiles et de pauses forcés, rythmés par la lecture du livre d’Albert Cohen.

« Je ne trouve pas de mots pour parler à ma mère. Les mots de son langage n’expriment pas ma vie. Les mots de mon langage n’entrent pas dans son système. Elle ne les comprend pas. Je décide d’aller au bout du Livre de ma mère. Je me dis qu’il pourrait y avoir quelque chose, à la fin. Je me dis que ma mère pourrait trouver une phrase, chez la mère d’Albert Cohen, et qu’elle comprendrait enfin. […] Je pense à la distance qui me sépare de ma mère. Je pense à la difficulté de changer de regard. Je me demande si ma mère en est capable. Je me demande si elle a le temps de le faire. Je me demande si j’ai le droit de lui demander de changer de regard. Je me demande si je ne perds pas mon temps, si mon projet peut aboutir. Je me demande si un jour, ma mère pourra laisser de côté son « nous », son « eux », son « vrai » et sa conception des hommes et des femmes. »

Au seizième jour, c’est l’aveu d’un semi-échec. Chacun sait (la mère, le fils, mais aussi le lecteur, témoin silencieux), mais personne ne communique réellement, et c’est bien le plus terrible.

Ma mère et moi est un texte poignant, terrible par certains aspects, fascinant par d’autres. Brahim Metiba fait preuve d’une économie de mots remarquable : le style est simple, mais chaque mot va droit au but.
Petit diamant minutieusement ciselé, Ma mère et moi est un texte puissant et que l’on lit comme un vibrant hommage au droit à la différence.

Ma mère et moi, Brahim Metiba. Éditions du Mauconduit, 13 mars 2015, 64 pages. 

Par Oihana

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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