Tolstoï, oncle Gricha et moi : sacré trio !

Il y a deux romans en un, dans le récit de Lena Gorelik : sous le patronage de Tolstoï, vénérable homme de lettres russe que l’on ne présente plus, évoluent Gricha, en URSS, et Sofia, en Allemagne. Cette dernière n’a jamais entendu parler de Gricha, qui est pourtant son oncle. La jeune femme mène une vie plutôt morose : sa fille en bas âge s’apprête à être opérée du cœur pour la troisième fois, et l’esprit de sa grand-mère, vaincue par Alzheimer, est en train de s’effacer peu à peu. Sofia se noie littéralement dans la frustration. Pour tenir, elle noircit carnet sur carnet, car, depuis le plus jeune âge, Sofia compile des listes sur tout et n’importe quoi.

Gricha, en son temps, était également un adepte des listes. Le récit de cet artiste excentrique nous transporte dans le quotidien de l’URSS des années Khrouchtchev : appartements communautaires, problèmes d’approvisionnement, censure…

Ces deux histoires que le lecteur découvre en parallèle permet à Lena Gorelik d’évoquer en douceur des thèmes tragiques comme la vieillesse, la maladie, le deuil… Autant d’événements qui rendent notre héroïne, Sofia, rapidement agaçante. Égoïste, plaintive, en révolte permanente, la jeune femme passe son temps semble-t-il à accabler son entourage (conjoint et mère en tête) et à s’isoler avec ses listes aux moments les moins opportuns (en témoigne une scène mémorable où, alors que son époux cherchait désespérément leur enfant perdue sur la plage, notre Sofia décide de se plonger dans ses listes plutôt que de l’aider..). Le lecteur devine cependant bien vite que c’est une manière de montrer comment Sofia se retrouve démunie face au stress et à la douleur, mais cela ne la rend pas agréable pour autant. Nous saluons toutefois la psychologie dont fait preuve Lena Gorelik, car toute insupportable qu’elle soit, Sofia reste très cohérente, très humaine.

Tolstoï, oncle Gricha et moi

Gricha, à l’inverse, bien que taxé d’égoïste par ses proches, nous paraît bien plus agréable : on sent chez ce personnage une quête de liberté dévorante, on le sent profondément inadapté à son époque, à son pays, et ce décalage est poignant.

Gricha et Sofia ne se sont jamais connus, mais ils ont bien des choses en commun. C’est tout un pan de l’histoire de sa grand-mère que Sofia découvre alors que son aïeule est à l’hiver de sa vie. Il est temps pour la jeune femme de faire face à son héritage russe.

Avec Tolstoï, oncle Gricha et moi, Lena Gorelik nous livre un roman très pudique et très sensible sur l’identité et la difficulté de faire face aux aléas de la vie. Faites abstraction de la narratrice exaspérante que peut être parfois Sofia, pour découvrir ce premier roman qui mérite vraiment de l’être !

Tolstoï, oncle Gricha et moi, Lena Gorelik. Les Escales, 2015. Traduit de l’allemand par Amélie de Maupeou.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

3 Commentaires

  1. Hey !
    Très jolie critique ! Je n’ai pas trouvé Sofia chiante, mais c’est vrai que ces réactions au stress sont quelque peu décalé par rapport aux autres ! (la scène de la plage nous laisse bouche bée)

  2. Je n’ai pas trouvé Sofia agaçante, ni égoïste mais effectivement démunie et perdue face aux drames de sa vie. L’auteur reste très sobre sur ces drames et l’émotion passe donc par les sentiments de Sofia.
    Comme toi, j’ai aimé ce caractère libre et frondeur de Gricha.
    Une belle composition avec ces deux personnages qui ne se connaissent pas mais se retrouvent mentalement.

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