Les Châteaux de sable, un film d’Olivier Jahan

Il ne faut jamais oublier les paramètres humains dans tout parcours. Ces paramètres humains, sensibilité, mémoire, non-dits et désirs, sont un des fils conducteurs du film Les Châteaux de sable, qui sort en salles le 1er avril. Les Châteaux de sable, c’est avant tout le charme d’un univers, celui de l’auteur-réalisateur Olivier Jahan, et la découverte d’une forme très personnelle de récit, magnifiée par une liberté d’écriture et une réalisation très inventive. Etonnant et réussi, ce film combine fraîcheur, inattendu et maturité. Il vient de recevoir le Prix Cinéma 2015 de la Fondation Diane & Lucien Barrière De l’écrit…à l’écran et à la scène.

Un bouleversement comme déclencheur

Le point d’ancrage du film, c’est une maison. Celle du père. Après la mort de celui-ci, Eléonore, sa fille, doit vendre. Elle se rend alors en Bretagne pour un week-end de visites, souvenirs et décisions. Eléonore n’est pas seule : Samuel, son ancien compagnon l’accompagne et sur place, Claire, l’agent immobilier, se fait fort de signer la vente sous trois jours. Le film alterne moments de tension, de drôlerie, de tendresse et de gravité. Discrétion et retenue expriment avec subtilité l’absence, le bouleversement de la vie après un décès et les difficultés d’un couple qui n’en est plus un, mais en présente tous les symptômes…

Pour Eléonore, les premiers ajustements avec la réalité commencent dès l’arrivée : outre le prix à baisser, il lui faut comprendre qu’une période se termine, faire le deuil de l’enfance –même si elle a trente ans –, assumer ses actes et ses choix. Prendre sa vie en mains, et notamment comprendre ce qu’elle fait dans cette maison avec Samuel : pourquoi le seul être auquel elle a demandé son aide est celui dont elle s’est séparée quelques mois auparavant ? Quelle place peut-elle donner à cet ex qui continue à prendre soin d’elle malgré leur séparation ? La réalité pour Eléonore, c’est aussi d’accepter que son père ne lui ait pas tout dit, même s‘ils étaient très proches et partageaient les mêmes passions – ils étaient tous deux photographes–. Vendre la maison, c’est en quelque sorte décider d’être une femme et pas seulement la fille de son père.

Au cours de ce week-end, Eléonore passera par des moments de réflexion, de tristesse, de rire, de complicité et de grande solitude. Samuel n’évitera pas non plus les remises en question, ni Claire, pour qui cette vente ne sera pas anodine.

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Le film parle évidemment du deuil : de cette souffrance qui vous prend à la gorge devant un objet sans son propriétaire, de ces boites à souvenirs que l’on redécouvre et de ce manque que l’on imagine ne jamais pouvoir combler. Du vocabulaire qui doit à présent s’accommoder de l’imparfait. Douleurs de l’âme auxquelles s’ajoutent une multitude de tracasseries matérielles. Le deuil agit comme une résistance exercée par le quotidien, comme si l’existence, par le biais de formalités et de complications administratives, refusait de passer à autre chose…

Quiconque a un jour vendu un bien mobilier ou immobilier se reconnaîtra dans les réactions épidermiques d’Eléonore. Et reconnaîtra les acheteurs dans ces énergumènes à tendance critique, qui ont un avis sur tout, avis qui, même fondé, est profondément irritant, car ils n’ont aucun respect pour l’histoire, la tradition et la justification de cette chose (ou maison) dont vous vous séparez. Allant parfois jusqu’à nier toute qualité à l’objet qui a mérité votre affection et marqué vos souvenirs, l’acheteur est une espèce que tout vendeur qui se sépare d’un bien aimé, a envie d’envoyer au diable.

Une liberté de narration et de réalisation

Des trouvailles de scénario et de mise en scène donnent au récit une originalité et un ton particulier. Le temps d’un week-end, le spectateur suit l’action, une succession d’évènements liés à la vente, et entre dans le désordre des pensées et des souvenirs des personnages. Pour entremêler ces fils narratifs, le réalisateur a construit une forme originale, puisant dans les codes du cinéma, de la télé réalité, des séries et de la littérature. Pour raconter l’histoire d’Eléonore, Samuel et Claire, Olivier Jahan, aidé du scénariste Diastème et du photographe Frédéric Stucin, a trouvé un mode d’expression qui est aussi une signature : il entrecroise des éléments de nature différente où photographies, images, musique et séquences filmées s’imbriquent, donnant au récit un caractère insolite et nouveau.

Les photographies sont une composante majeure du film, tant par leur esthétique que par leur contenu : chacune d’elles raconte une histoire dans l’histoire et s’insère dans les séquences filmées comme un éclairage supplémentaire, un résumé en accéléré ou une métaphore, une juxtaposition ou un flash-back.

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Même si ces choix de montage et de réalisation sont singuliers, le film utilise les outils traditionnels de l’écriture : ellipses, incises, et changements de point de vue. Tour à tour omniscient avec une narratrice comme dans Les Choses de la vie de Sautet, ou de l’intérieur, permettant au spectateur d’entrer dans la tête des personnages. Côté caméra, des apartés avec gros plan sur les visages semblent de véritables confessions. Ces adresses au spectateur alternent avec des plans larges où l’effet de mise à distance est renforcé par la voix-off qui décrypte la situation. Les personnages et leurs actes sont analysés, un peu comme le professeur Laborit étudiait le comportement de ses souris de laboratoire dans Mon oncle d’Amérique. Rappelons que film d’Alain Resnais avait à son époque déjà bouleversé les codes de la narration filmique par un montage inédit.

Sans se soucier de la technique, le spectateur, lui, se laisse emporter. Il s’identifie. Les paysages de Bretagne lui donnent envie d’être Breton, la décoration de la maison le renvoie à une philosophie de vie. Des détails le font sourire : un texto fallacieux qu’il aurait pu écrire ou la témérité touchante d’une gaffe assumée jusqu’au bout. Parfois il a un bref sentiment d’ennui, comme ces interstices de vide au cours d’un deuil, ensuite il aime ce pull marin qui raconte des vacances d’enfant, il est intrigué par la thèse de Samuel sur la nièce d’Hitler, il partage l’amour des livres qui tapissent la maison et se dit qu’il connaît mal le prix Nobel Tomas Transtromer. Il apprécie la musique de Patrick Watson.

Il s’attache aux personnages.

Archétypaux, sans jamais être caricaturaux, tous sont portés par des acteurs que l’on regrette de ne pas voir plus souvent au cinéma. Emma de Caunes, une Eléonore entière, sensible et si photogénique que la série d’autoportraits photographiques la décrit mieux qu’un long dialogue, Yannick Renier, un Samuel déchiré par la raison et l’amour, Jeanne Rosa, l’agent immobilière qui se parle à voix haute, à mi-chemin entre Bridget Jones et Amélie Poulain, la libraire énigmatique et douloureuse, sans oublier les vidéastes anglais, des Gilbert et George revus et corrigés…

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Le spectateur passe trois jours avec les personnages, il sait très vite qu’il aura du mal à les quitter. Devant lui, tous ont pris des risques et se sont engagés, malgré leurs fragilités et leurs errances. Drôles touchants ou énervants, ils composent ces paramètres humains qui déterminent la couleur d’une vie et la tonalité d’un film.

Les Châteaux de sable, un film d’Olivier Jahan, sur un scénario de Diasteme et Olivier Jahan. Distribué par La Belle Company. Ce film a reçu le 19 mars 2015  le Prix Cinéma de la Fondation Diane & Lucien Barrière De l’écrit…à l’écran et à la scène.

Par Isabelle

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