Hanoï, destination exotique, qui flatte l’imagination… C’est, pour David, un des héros du roman d’Adriana Lisboa, un lieu fantasmé, lointain, une sorte de « cimetière d’éléphants » où finir doucement sa vie. Car David vient d’apprendre que sa vie touche à son terme : atteint d’une tumeur inopérable, il ne verra pas l’année prochaine. Alors David se défait de toutes ses attaches terrestres, il donne à tout va, quitte son emploi, « débranche toutes les prises ». Et il rencontre Alex.
Autrefois, la famille d’Alex vivait justement à Hanoï. La jeune femme est issue d’une lignée de femmes vietnamiennes qui ont aimé des Américains. C’est d’ailleurs à Chicago qu’Alex a vu le jour : le Vietnam est plus un héritage culturel qu’une réalité tangible pour la jeune femme. Hanoï, à l’autre bout du monde, ressemble à un mirage.
Alex vit avec son fils Bruno, qu’elle a eu quand elle était encore lycéenne. Tout en potassant pour essayer d’obtenir une bourse à l’université, la courageuse Alex travaille dans une épicerie vietnamienne, où elle rencontre David.
« Si tu pouvais faire un voyage n’importe où dans le monde, tu irais où ? » demande David à Alex. La réponse est, sans surprise, Hanoï.
Le récit d’Adriana Lisboa est court, mais n’en est justement que plus percutant. En moins de deux cents pages, elle parvient à dresser un portrait lucide et sans concession de l’immigration américaine et à écrire avec justesse sur le deuil et l’adieu au monde. Alex et David sont tous deux de la deuxième génération, mais chacun vit son héritage différemment. Pour Alex, c’est un contexte lointain, un peu brumeux, quelques légendes que l’on raconte à son fils, une langue qu’elle a appris mais qu’elle ne parle pas si bien que ça, au fond. David, lui, se souvient de ses railleries devant son père brésilien incapable de prononcer le son « th », et qui de fait, confondait « tree » (arbre) et « three » (trois). Le Brésil, ou encore le Mexique, pays de naissance de sa mère, ne semblent pas susciter de curiosité chez David, au contraire du Vietnam… Tous deux sont américains, en ayant conscience d’être d’ailleurs. Mais au fond, que connaissent-ils du monde, en dehors de Chicago ?
A la lecture d’Hanoï, le lecteur, à son tour, s’interroge : s’il était lui aussi en fin de vie, où aimerait-il aller ? Comment réagir ? David se retrouve confronté à cette terrible épreuve, à la conscience de sa propre mortalité. Subitement, plus de projets, plus de rêves, juste la perspective de quelques mois de vie à occuper du mieux possible. Adriana Lisboa écrit des pages touchantes, d’une grande finesse, sur ce deuil de soi auquel David doit s’astreindre. L’histoire qui se noue entre David et Alex est triste, mais surtout très jolie. Ils vivent des instants simples, heureux, ils vivent au quotidien. N’est-ce-pas au fond d’une grande sagesse ? Il y a de la poésie entre ces pages…
Hanoï est un très joli roman, à découvrir aux éditions Métailié.
Deux lectures d’Adriana Lisboa ( Bleu corbeau et Hanoï), deux coups de coeur. J’aime ces personnages au lourd passé qui tente de trouver leur place.