NEW YORK — Depuis toujours, l’histoire américaine est étroitement liée à l’immigration, légale ou illégale, que ce soit à l’époque du Mayflower, ou aujourd’hui à la frontière mexicaine. Dans cette histoire, faite de rêves et de larmes, New York a longtemps tenu le rôle principal : porte d’entrée de l’Amérique, du nouveau monde, à travers la petite île d’Ellis Island.
New York, et l’immigration. C’est un des thèmes principaux du premier roman de l’auteur américaine Tania James, L’Atlas des inconnus.
Jusque là, la vie a été assez chaotique pour Linno et Anju, deux adolescentes indiennes : leur mère est décédée quand elles étaient très jeunes, et un accident a mutilé Linno quelques années plus tard. Néanmoins, entourées par son père et sa grand-mère, la jeune Linno a développé un don remarquable pour le dessin et Anju, un certain attrait pour les études. Aussi, quand se présente pour Anju la possibilité d’obtenir une bourse pour aller étudier à New York, celle-ci n’hésite pas à mettre en avant les dessins de Linno comme les siens, séduisant ainsi le jury.
Ainsi, Auju part à New York, laissant derrière elle Linno à la perspective d’un mariage arrangé, d’une vie à l’orientale, tandis qu’elle-même part découvrir « l’Ouest ». Sur place, son chemin croisera celui de Bird, qui a connu intimement leur mère, une mère qui elle-aussi, s’était sentie tiraillée entre New York et l’Inde.
Magnifique portrait de deux cultures très différentes, L’Atlas des inconnus permet au lecteur de voyager, de découvrir Bombay, le Kerala, New York. On découvre une Inde moderne, à l’heure d’Internet, mais toujours profondément traditionnelle. Une Inde « resplendissante », mais qui croit au rêve américain. Rêve américain ? Le lecteur reste indécis tout au long de la lecture : évidemment, les Solanki, immigrés ayant fait fortune à New York, font office d’exemple pour une jeune fille comme Anju. Mais dans les faits, les Etats-Unis, ce sont aussi les difficultés de l’intégration, les chemins tortueux de l’administration, les avocats véreux profitant des immigrants, la vaine course à la légalisation. Anju découvre une ville trop grande, une ville cosmopolite, une ville où la vie est difficile. Libre au lecteur de croire au rêve américain : il y en a pour qui ça marche, mais pas pour tous. L’important, c’est de se sentir chez soi, d’avoir ses proches près de soi, comme le découvrira Anju.
Ce roman illustre également le dilemme des jeunes Indiennes d’aujourd’hui, partagée entre un désir de vie à l’occidentale, une envie de voyager, de faire des études, et les traditions du pays. Orient, Occident, Anju devra choisir, comme sa mère avant elle. Gracie, la mère d’Anju et Linno, apparaît fréquemment dans les souvenirs des personnages : on y découvre une jeune fille de dix-neuf ans, rêveuse, rebelle, qui dédaigne les saris au profit des pantalons, et aimerait découvrir l’Amérique. Son amie Bird, tout aussi fantasque, ira elle au bout de son ambition : mais des années plus tard, vivant seule à New York, ne regrette-elle pas d’avoir laissée Gracie à une vie plus conventionnelle ? Le thème du regret est omniprésent dans le livre : regret de Bird d’avoir abandonné Gracie, regret de Gracie de n’être pas partie aux Etats-Unis, regret d’Anju d’avoir trahi Linno…
Outre le fait que ce roman permet un total dépaysement pour un lecteur français, il met en scène des personnages attachants. Linno et Anju, au centre de l’intrigue, ont chacune leur intérêt et l’on lit tour à tour leurs histoires avec un égal plaisir : chacune sur un continent, avec leurs personnalités si différentes, elles pensent pourtant constamment l’une à l’autre.
Tania James a réussi l’exploit de peindre avec une rare justesse une relation fraternelle réaliste : aucune fausse note ne vient troubler le récit. Les relations familiales occupent une place centrale, aussi bien dans le couple des parents d’Anju, qu’au sein des Solanki, la famille d’accueil d’Anju.
En somme, L’Atlas des inconnus est une réussite sur tous les plans : brillant par une narration simple et fluide, par des personnages réalistes et vivants et, au-delà de l’histoire, en elle-même prenante, par une réflexion sur l’immigration, il se lit très rapidement, et se quitte difficilement. Ce fut, osons-le, un coup de coeur !
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