ROMAN AMÉRICAIN — La rentrée littéraire 2011 vit la réédition de Rien n’est trop beau, le best-seller de Rona Jaffe, paru à la fin des années 50. S’ouvrant par une préface de l’auteur, Rona Jaffe, datant de 2005, le roman assume sa dimension quasiment sociologique : des milliers de jeunes femmes s’étaient reconnues dans le récit de Rona Jaffe. Ayant inspiré la série Mad Men, évoquant un Sex and the City avant l’heure, Rien n’est trop beau entremêle les destins de cinq secrétaires fraîchement débarquées à New York, pour y faire carrière en attendant de trouver un mari.
Car nous sommes en 1952. Sous des dehors très convenables, où la quête d’un mari et la sauvegarde de la réputation semblent prédominer, les jeunes femmes que l’on rencontre dans ce roman boivent, fument, et couchent (mais pas tout de suite, car elles ne sont pas des filles faciles, tout de même). Elles travaillent, pour occuper le temps qu’elles ont entre l’école et le mariage. Caroline a vingt ans : elle débarque à New York pour oublier que son fiancé l’a quittée et trouve une place de dactylo dans une maison d’édition. Elle y rencontrera Mary Agnes, qui prépare son mariage des années à l’avance, April, la provinciale aux rêves d’actrice, Gregg la délurée et Barbara, divorcée. Entre leur désir naissant de carrière et leur rêves de mariage et de vie rangée, ces jeunes femmes s’émancipent, aiment, sont parfois déçues, parfois ravies…
Véritable document sociologique, Rien n’est trop beau a été écrit par Rona Jaffe dans les années 50 : elle-même avait travaillé quatre ans dans une maison d’édition et se servait de son quotidien pour décrire celui de milliers de jeunes femmes. A l’heure où, dans les années 50, les femmes commencent à envisager tout doucement de pouvoir mener de front vie familiale et vie professionnelle, il n’est pourtant pas aisé de faire partie des pionnières. Ces jeunes femmes souffrent du harcèlement sexuel, des regards de pitié si elles sont encore célibataires à vingt-cinq ans, de la peur constante d’être enceinte et de faillir à leur réputation, d’une situation financière souvent précaire. Et pourtant, on sent dans ce roman que les choses sont en train d’évoluer. Caroline, forte et affranchie, incarne ce changement. Ambitieuse, elle se jette à corps perdu dans le travail et prouve ainsi sa valeur à ses patrons. Elle grimpe un à un les échelons, grâce à sa volonté et son intelligence.
Le milieu de l’édition des années 50 se dévoile également dans ces pages : les directeurs littéraires tous puissants, les lectrices, la horde de petites dactylos… Certaines sont bien heureuses d’être secrétaire en attendant le mariage. D’autres se rêvent lectrices, puis éditrices. L’atmosphère au charme désuet, des journées de travail qui se terminent par des cocktails entre collègues ou un verre pris avec le patron, des rendez-vous arrangés par une amie de la famille charitable, des jeunes gens romantiques, courtois et bien élevés qui vous demandent votre main, font de ce roman un de ceux qui vous donnent l’impression de découvrir un autre monde. Cela fait parfois froid dans le dos, quand on songe à toutes ces filles célibataires prêtes à tout pour se trouver un époux, aux conséquences si jamais elles se laissaient aller à une étreinte avant le mariage. Mais le récit, qui alterne les voix des différentes héroïnes avec beaucoup de dynamisme, est en même temps très joyeux et très vivant. C’était une autre époque, que l’on découvre avec plaisir. L’importance de New York, la ville du changement, que les parents craignent car c’est une grande ville où il est facile de s’égarer moralement et que les filles adorent parce que c’est un lieu de rencontre et d’opportunité, n’est pas sans rappeler Sex and the City. La quête du beau parti célibataire semble presque la même, à quarante ans d’intervalle. Impitoyable, New York changera irrémédiablement la plupart des jeunes femmes de ce roman.
Rien n’est trop beau est un de ces romans que l’on dévore, malgré ses cinq cents pages, pour ses personnages attachants, et la description soigneuse d’une époque finalement pas si lointaine.
Rien n’est trop beau, Rona Jaffe. Presses de la cité, 2011. Le Livre de poche, 2012. Traduit de l’anglais par Jean Rosenthal.
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