CLASSIQUE — La bonne société new-yorkaise du début du vingtième siècle forme un microcosme impitoyable, où l’argent, le nom, et la réputation font et défont le bonheur des uns et des autres.
La belle mais pauvre Lily Bart évolue dans ce monde de faux-semblants. A vingt-neuf ans, la jeune femme cherche désespérément un mari qui puisse lui permettre de maintenir un train de vie luxueux. Mais trop fière pour accepter d’épouser n’importe quel nouveau riche, et trop charmeuse pour que sa réputation se sorte indemne de ses badinages, la jeune femme se verra confrontée à la jalousie et à l’animosité de ses pairs. Le scandale viendra détruire ses aspirations.
Chez les heureux du monde nous expose un portrait réaliste, et cruel des riches new-yorkais, qui passent de maisons de campagnes aux hôtels particuliers, des fêtes à l’opéra… L’on découvre en somme un train de vie luxueux et oisif partagé par les vieilles familles d’ascendance hollandaise, et les nouveaux riches, considérés comme vulgaires, mais que l’on est obligé de côtoyer car « ils nous achèterons tous dans quelques années ». Le New-York des années 1900, 1910 apparaît comme une ville maussade que l’on quitte pour la campagne dès la belle saison (il est considéré du plus mauvais effet de passer l’été à New-York, cela veut dire que personne ne vous a invité dans sa résidence secondaire), une ville où se rencontrent les clientes de Tiffany’s prêtes à dépenser des milliers de dollars en robes et bijoux, et les petites gens. Les lieux incontournables de New-York restent la cinquième avenue, sans surprise, Central
Park, et Grand Central Station.
Dans cette ville qui, en 1905, compte déjà son premier vrai gratte-ciel (le Flatiron), évolue Lily, une jeune femme charmante, rompue aux arts de la diplomatie et de la séduction mais qui, malgré tous ses atouts, ne parvient à trouver un époux, à la Orgueil et préjugés. Trop libre, trop belle, Lily s’attire les jalousies des unes, le mépris des autres. Ses tentatives, ses erreurs, sa vivacité, la rendent plus humaine que la plupart des personnages romanesques. Son histoire d’amour avec l’avocat Lawrence Selden tiendra en haleine les plus romantiques d’entre nous : Selden ouvre et ferme le roman, et se fait la voix du refus des convenances sociales, et des contraintes exigées par la société. Il sera la morale, la conscience de Lily.
Edith Wharton montre ainsi à quel point l’on peut être cruel ou lâche en société : les anciens amis de Lily ne croient pas tous au scandale qui l’a éclaboussée, pourtant, ils gardent le silence, ce qui est plus facile. Les rivalités féminines sont exploitées avec talent et réalisme.
C’est également un roman sur la condition des femmes : une femme bien née n’a d’autre choix que le mariage si elle veut être acceptée en société et être à l’aise financièrement. Effectivement, l’on rencontre des personnages de divorcées, mais celles-ci sont toujours cataloguées comme telles, avec une certaines réserve. La société évolue, mais reste impitoyable pour les femmes.
Un livre très intéressant, et très prenant, malgré quelques longueurs. Edith Wharton a un style très agréable et une vision des mœurs de son temps digne d’intérêt, qui n’est pas sans rappeler celle de Francis Scott Fitzgerald, un peu plus tard.
Chez les heureux du monde, Edith Wharton. Le livre de poche, édition de 2010.
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