C’est le genre de roman policier que l’on ne lâche pas. Celui dont jusqu’au milieu de la nuit, on tourne les pages le ventre serré, accroché aux pas et pensées de Ray Irving, inspecteur au commissariat N°4 de New York. Bien au-delà de l’enquête sur une série de meurtres monstrueux, l’auteur RJ Ellory nous emmène avec Les Assassins sur les traces de serial killers tristement célèbres dans l’histoire, mais aussi à travers la ville de New York, dans les coulisses de la police et dans le cœur d’hommes et de femmes confrontés quotidiennement à la brutalité dont les hommes sont capables entre eux.
Le roman s’ouvre sur le récit du drame qui a bouleversé la jeunesse de John Costello, rescapé miraculeux du meurtrier surnommé le marteau de Dieu. Les faits datant de 1984 y sont entrecoupés de passages en italique, semblant indiquer qu’il s’agit des pensées intérieures du jeune John. Mais celles-ci sont à la troisième personne, et le recul avec lequel elles analysent les choses fait penser à ces témoignages de personnes qui disent avoir flotté au-dessus de leur corps mort. Le ton froid, presque clinique ainsi que l’enchaînement méthodique des évènements mettent vite le lecteur mal à l’aise. Les comptes-rendus d’interrogatoires et les extraits de journaux qui clôturent ce chapitre, achèvent de le dérouter : dans cette étrange narration à distance, quelque chose est inhabituel…
En ce mois de juin 2006, c’est bien ce que voudrait éviter John Costello, rassuré par la répétition de petits rituels dans une vie reconstruite sur des habitudes : depuis 30 ans, il vit dans le même appartement, chaque jour il se rend au New York City Herald où il travaille dans l’ombre de la journaliste Karen Langley et un lundi soir sur deux, il rencontre d’autres victimes miraculeusement réchappées de tueurs en série.
Quand à Ray Irving, le samedi 3 juin 2006 est le jour où il reprend pied dans son existence, après six mois d’un deuil qu’il a du mal à s’avouer, le jour où une adolescente est retrouvée assassinée. Ce crime sera bientôt suivi d’autres : le quotidien d’un flic à la brigade criminelle.
Dans la police, personne n’établit de lien entre ces crimes commis dans différents quartiers de la ville. Mais John Costello, lui, comprend la logique du tueur. Il est le premier à reconnaître dans les indices laissés par le « commémorateur » la répétition macabre de crimes commis il y a trente ans, dont les coupables sont morts ou en prison jusqu’à la fin de leurs jours. La façon dont ces meurtres sont réédités dans les moindres détails fait froid dans le dos, indiquant que le tueur a une connaissance étonnante des archives du crime.
Ray Irving n’est pas au bout de ses peines. En plus de cette affaire où il patauge, il se voit confier par sa hiérarchie le soin de gérer les relations avec le New York City Herald afin que rien ne soit publié sur ces « meurtres anniversaire ». Pour l’inspecteur, le travail devient alors un vrai casse-tête… Comment empêcher de nouveaux meurtres, arrêter le sérial killer, et éviter de mettre la population de New York en panique, quand on a, au mieux, dix hommes avec soi, des subsides dépendants d’une mairie irritée par de potentiels remous pré-électoraux, et une presse réticente à coopérer ? Sans compter des collectionneurs morbides, un étrange club de victimes, des familles endeuillées, un John Costello qui semble comprendre un peu trop bien le mode de pensée tordu du meurtrier et enfin, cette Karen Langley agressive mais attirante…
Ainsi sont posés dès le début les faits, les personnages et les enjeux.
Outre son intrigue claire visant à arrêter l’assassin, le roman tient par la force, la présence et la complémentarité de ces trois personnages.
Attachant et intelligent, à mi-chemin entre Colombo, Maigret et Wallander, Ray Irving est un héros blessé, conscient de l’ampleur de sa tâche, qui se consacre entièrement à son travail, même s’il sait qu’il sera toujours impuissant devant l’inventivité des hommes pour en détruire et exterminer d’autres. Son point de vue, à la fois empathique, réaliste et désabusé, donne au livre un ton particulier, comme un point d’interrogation permanent sur la responsabilité, la conscience et l’impossibilité d’éradiquer le mal.
Au fil du roman, sous ce regard terriblement humain aux accents souvent las, se dessine un subtil jeu de miroirs entre les personnages. Sans être conscient de leurs ressemblances, chacun observe chez l’autre des facettes de lui-même et s’en agace : caractères forts, solitaires, passionnés, impliqués et intelligents, tous trois interrogent la réalité pour comprendre le monde qui les entoure. Semblables par leur connaissance de l’univers criminel et devançant ainsi Karen Langley, John Costello et Ray Irving ont en outre la conscience de l’irrationalité de certains actes. Ainsi certaines énigmes demeureront toujours sans réponse. Peut-être insolubles, dit Ray Irving des crimes auxquels il doit faire face. Pourquoi certains tuent, pourquoi certains survivent ? C’est à cette absence vertigineuse d’explications qu’ils vont tous devoir se confronter, chargés de leurs expériences de vie et avec des sensibilités différentes.
Course contre la folie meurtrière, ce roman policier extrêmement bien mené montre la difficulté de lutter contre la pulsion de mort qui pousse certains êtres à en détruire d’autres, l’absence de rationalité de l’existence et l’impossibilité de comprendre vraiment le pourquoi des choses. Réflexion sur le bien et le mal, il pose à tous la question de la complexité de la nature humaine et de sa solitude intrinsèque.
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