Toutes ces choses qui nous échappent : une belle histoire d’amitié !

 

Il y a les romans pour ados qui ne parlent qu’aux ados et quelques autres, précieux et justes, qui s’adressent à tous. Toutes ces choses qui nous échappent fait partie de ces lectures dont le sujet particulier devient universel : dans ce roman d’apprentissage, parmi émotions, désirs et idéaux adolescents, il est avant tout question d’apprendre à vivre, un sujet qui concerne tous les âges, enfant ou adulte. Grâce à une histoire d’amitié entre deux jeunes filles, Wendy Wunder, l’auteur, aborde avec humour des thèmes graves : la différence, les normes de la société mais aussi la bipolarité.

Nous voici dans le New Jersey, à Woodlawn Terrace où deux adolescentes Zoé et Hannah, la narratrice, sont amies depuis l’age de sept ans. Dans un paysage âpre, lourd et humide, nous dit Hannah, dans une région un peu désolée, où plane un certain désespoir concentré autour d’un lac et matérialisé par un parc d’attractions désaffecté, les deux ados expérimentent les relations humaines et posent sans le savoir les bases de leur avenir. Pointant dans l’horizon de l’autre côté du lac, le fantôme du parc de loisirs symbolise la fin de l’enfance, la difficulté d’appréhender le monde des adultes, et la fin de l’insouciance joyeuse que l’on perd en entrant dans l’age dit ingrat. Ingrat à l’image des émotions et corps adolescents où s’éveillent des désirs et des rébellions… et ingrats comme ces adultes dont on comprend qu’ils sont parfois complètement incapables de jouer leur rôle protecteur et rassurant.

Toutes ces choses qui nous échappent, Wendy Wunder, Hachette,

Un paysage intérieur

Le père d’Hannah boit, la mère d’Hannah ne se remet pas de leur séparation, tandis que la mère de Zoé élève seule ses deux enfants : Zoé, fantasque et imprévisible et son petit frère, Noah, un surdoué incapable d’éprouver des sentiments. Les cellules familiales sont décomposées, à l’image du paysage désolé. Au fil des pages, dans les descriptions de ces paysages de bord de lac, on pense à la série Top of the Lake, où une nature abrupte occupe une place vitale dans la construction identitaire des individus. Ainsi, à Woodlawn Terrace, les personnages portent le sceau du paysage qui les a vus naître. Hannah n’imagine même pas s’en éloigner avant l’Université, une sorte de mirage pour lequel elle accumule de l’argent en vendant des hot-dogs. C’est grâce à Zoé qu’elle va s’en échapper aujourd’hui et aller vers ce qui lui fait peur, son hésitation incarnant ce paradoxe adolescent de l’attachement à l’enfance et de l’envie de s’en libérer.

Tout va mieux dès qu’on quitte son trou, lui dit Zoé, experte en affirmations et vérités sur la vie. Quel ado n’a pas voulu fuir le lieu de son origine, symbole de la dépendance, de l’autorité des parents et de l’étroitesse des aspirations de ceux qui semblent avoir oublié qu’ils ont un jour été jeunes ? L’adolescence restant cette période d’idéaux et de rêves démesurés que l’on croit uniques…

Un voyage initiatique

Alors qu’Hannah croit que leur périple se déroule au hasard, elle se rend compte que Zoé a organisé une grande partie du voyage avec un but : expliquer à son amie ces « choses qui leur échappent », ces sentiments, émotions et notions qui construisent une philosophie de vie. Chaque chapitre porte ainsi le nom d’un objectif déterminé par Zoé : loyauté, négligence, plaisir mais aussi déception, karma, destinée … dessinant pour les deux jeunes filles un voyage initiatique parsemé de rencontres et de découvertes.

Pour Zoé, ce voyage est un refus de la normalité qu’on veut lui imposer.

Où se situe la frontière entre originalité et folie est une des grandes questions que soulève avec finesse ce roman. Quelles sont les limites, semble demander Zoé au lecteur. Question récurrente à l’adolescence où chacun découvre son pouvoir, les contraintes du monde et le désir de les outrepasser.  Mais où sont les limites pour une jeune fille comme Zoé qui semble avoir tout, la beauté, la vivacité, la créativité, le sexy, mais vit dans l’excès permanent ? Aujourd’hui, pour les adultes, Zoé se met en danger … Sa bipolarité semble devenir incontrôlable : cette maladie terrifiante lui fait atteindre les sommets puis s’abattre, anéantie et désespérée. Impossible de ne pas avoir le cœur serré devant la détresse d’une jeune fille qui comprend qu’on la considère comme folle.

Des mots justes et de l’humour

Wendy Wunder décrit avec justesse et sensibilité cette souffrance psychique, de même qu’elle traduit en actions et dialogues la relation de confiance tissée entre les deux ados : protection et éducation, à l’image de ces installations artistiques et pédagogiques que Zoé construit pour son petit frère, atteint d’une sorte d’autisme.

Avec un style dynamique, l’auteur parvient à faire résonner en chacun, quel que soit notre âge, le tumulte intérieur de l’adolescence, cette période de transition : la révolte, le désir de redevenir enfant, la peur de ce qu’on ne comprend pas, la découverte du corps, de la sexualité, du désir, le regard des autres, les normes de la société, leur acceptation ou leur rejet. D’une plume vive, drôle et fraîche, Wendy Wunder promène, via celui d’Hannah, un regard lucide sur le monde des adultes souvent dépassés par ce qu’ils vivent. Un rythme enlevé emmène le lecteur dans ce road-trip, sur les pas de ces Thelma et Louise de seize ans. Une écriture très imagée, pleine d’humour, des dialogues comme si on y était, Zoé n’a pas la langue dans sa poche et réussit à faire réagir et émouvoir tous les êtres qu’elles rencontrent, y compris nous, lecteurs sensibles.

Toutes ces choses qui nous échappent est une belle histoire d’amitié. La fin ne surprendra pas le lecteur parce qu’elle est la seule concevable, mais il sera triste de quitter des personnages qu’il aimerait avoir pour amis.

Sous ses airs légers et drôles, ce roman est un véritable questionnement sur l’apprentissage de toutes ces choses, petites et grandes, que nous ne comprenons pas, et que l’adolescence doit expérimenter à l’aube d’entrer dans un monde d’adultes. C’est peut-être en replongeant dans les émotions adolescentes, grâce à ce livre de Wendy Wunder que nous pouvons tous, ados et adultes, mieux comprendre les autres et trouver le sens de cette vie qui nous échappe.

Toutes ces choses qui nous échappentWendy Wunder. Hachette, 2015. Traduit de l’anglais par Alice Delarbre.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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