ROMAN AMÉRICAIN — Après La Dernière Fugitive, que nous avions beaucoup aimé, Tracy Chevalier poursuit dans la veine américaine de son oeuvre, à une différence près : cette fois-ci, ses héros sont bel et bien américains, quand l’héroïne de La Dernière Fugitive était une Anglaise devant s’intégrer aux États-Unis.
Pourtant, les héros de À l’orée du verger connaissent les mêmes difficultés que leurs ancêtres qui, après avoir quitté l’Europe, ont dû apprivoiser la côte Est de l’Amérique du Nord. Ce sont, au même titre, des colons, qui tentent de domestiquer une terre difficile pour en faire un foyer. Comme dans La Dernière Fugitive, nous sommes dans l’Ohio, mais dans une partie méconnue car hostile de cet état : le Black Swamp.
Dans ce marais désolé et peu hospitalier, la moitié des colons se sont installés par défaut, quand leurs chariots se sont embourbés sur la route de l’Indiana, ou quand leurs chevaux, vaincus par la boue, ont rendu l’âme. Les Goodenough, eux, sont venus sciemment, afin de se construire une nouvelle vie, les terres familiales étant devenues trop étroites pour les nombreux héritiers Goodenough. James, le père, a embarqué sa famille, construit une ferme, et semé les graines d’un verger. Mais le Black Swamp est cruel : chaque année, la fièvre des marais lui ôte un de ces enfants, et ses pommiers peinent à prendre. Quelques années après, cinq enfants Goodenough ont été enterrés dans la boue, et chaque jour s’avère plus difficile que le précédent. Sadie, la mère, cuve son amertume dans l’eau-de-vie. Mère négligente, voire violente, elle couve d’un oeil mauvais le verger, symbole de leur exil dans l’Ohio, objet de mille fois plus d’attentions de la part de son mari qu’elle n’en obtiendra jamais pour elle-même. De ses enfants, seuls Robert trouve grâce à ses yeux : enfant du marais, qu’elle portait dans son ventre au moment de leur installation, Robert porte sur le monde un regard lucide… C’est en réalité le véritable héros du roman.
Il suffit de parfois peu pour installer une ambiance, monter une intrigue. En quelques pages, Tracy Chevalier monte le décor : un marais hostile, un verger qui porte les espoirs de toute une famille, et un couple hautement dysfonctionnel qui se déchire sous le regard impuissant de leurs enfants. Entre un père obnubilé par ses pommes, et une mère égocentrique et mauvaise, les enfants Goodenough sont bien mal lotis ! Mais quel formidable personnage féminin Tracy Chevalier a-t-elle réussi à créer ! Sadie est un personnage que l’on aime détester, de tout notre coeur. Pourtant, Tracy Chevalier arrive à susciter une brève étincelle de sympathie pour cette femme qui n’a rien choisi de sa vie, qui s’est trompé de frère Goodenough, ayant laissé celui qu’elle aime derrière elle, et qui, chaque été, enterre un de ses enfants. Pour les pionniers, la vie n’a rien de simple : comme l’a dit Tracy Chevalier elle-même, quand nous l’avons rencontré ce jeudi 19 mai, la vie était « courte et difficile » pour ces colons.
Puis, le roman fait un bond temporel. Un autre mythe américain apparaît, celui de la frontière : Robert Goodenough traverse les Etats-Unis, un pays tout neuf à apprivoiser. Toujours plus vers l’Ouest ! Jusqu’à ce qu’enfin se dessine la Californie et la célèbre ruée vers l’or. Encore un mythe américain !
Car le roman de Tracy Chevalier, au fond, étudie de près l’American Dream, et les revers qu’il peut adresser à ceux qui osent y croire. Nous suivons Robert et sa fuite en avant dans certains des paysages les plus grandioses des États-Unis. Robert a en effet laissé un drame derrière lui. Que cherche-t-il à oublier ?
Comme toujours avec Tracy Chevalier, la force de ce roman réside dans ses personnages, d’une justesse incroyable. Certains d’entre eux ont réellement existé, comme « Johnny Appleseed », qui est en réalité le point de départ du roman. Figure du folklore américain, héros de la littérature de jeunesse étasunienne, Johnny Appleseed a grandement contribué à la présence de pommiers dans l’Ohio et dans plusieurs autres états américains. C’est en lisant un passage sur ce personnage pendant qu’elle faisait des recherches pour La Dernière Fugitive que Tracy Chevalier a eu l’idée de ce nouveau roman. Elle s’est intéressée à ces pommes que Johnny Appleseed transportait, et, qu’auparavant, des colons britanniques ont transporté d’Angleterre… des pommes qui, auparavant, venaient du Kazakhstan. Quel voyage ! Par un étrange parallèle, le fils Goodenough, lui, aidera William Lobb (autre figure historique !) à transporter des redwoods et des sequoias de Californie en Angleterre. À l’orée du verger est indéniablement un bel ode à la nature : on y trouve de magnifique descriptions de ces géants des forêts qui font la gloire de la Californie.
À l’orée du verger est donc un roman ultra maîtrisé, d’une grande richesse, et d’une intensité surprenante. Du verger originel, Robert Goodenough entame un périple à travers un continent en pleine construction, tournant son regard vers l’Ouest, vers l’avenir. Une véritable épopée américaine, à découvrir absolument !
Je ne pense pas lire ce roman :/
Je vins de découvrir ton blog et je le trouve très agréable 🙂
C’est dommage, c’est un excellent roman !:)