POLAR GÉRIATRIQUE — En littérature, la vieillesse fait parler d’elle depuis quelques années. Dans le roman policier, elle y apparait souvent drôlatique, un poil cruelle et n’ayant plus rien à perdre. Avec Old school, John Niven apporte la dose d’humour british nécessaire pour passer le cap de la soixantaine … À L’âge où l’on profite habituellement d’une retraite paisible et convenable, quatre vieilles amies décident de changer le cours de leur vie. Outrepassant les règles de bonne conduite respectées jusque là, elles s’engagent dans un road trip débridé … non sans avoir auparavant braqué une banque.
Crise de la soixantaine
Pour changer de vie, il faut un déclencheur ou un ras-le-bol majeur. Généralement, le point de rupture se situe un peu plus tôt, ce middle age où chacun s’interroge sur sa vie, ses choix, son oeuvre. Pour nos quatre héroïnes, le déclic se fera la soixantaine passée : par la force des choses, leur regard sur le monde se dessille, leur docilité à se conformer à ce qui se fait s’efface, et les voilà décidées à tout, même au plus insolite.
Pour Susan, 65 printemps, la mort de son mari est une surprise fort désagréable qui s’accompagne d’une terrible désillusion. Avec le cadavre de son époux retrouvé nu dans des conditions sordides, elle découvre une réalité dont elle se serait bien passée. Aléas matériels, affectifs et sociaux, tout un pan de sa vie s’écroule, bâti sur des mensonges et la double vie de sa moitié … Que représentent alors les notions de couple, de famille, les valeurs traditionnelles et le statut social quand on a le sentiment d’avoir été trahie toute sa vie ? Que l’on en vient à se demander qui était l’inconnu avec lequel on a partagé 50 ans d’existence ?
Pour Julie, c’est autre chose… Après des années de vie intense et débridée, la vieillesse est venue, avec elle le temps des vaches maigres et d’un travail peu reluisant dans une maison de retraite. Et celle qui épatait Susan par ses décapotables, sa liberté d’action et de tempérament, en est réduite à faire le ménage dans une maison pour vieux mal en point.
Mais elle y rencontre Ethel, beauté et gloire du show biz dans le passé, devenue une impotente en jogging sur son fauteuil roulant, mais qui n’a rien perdu de sa gouaille ni de son attirance tapageuse pour le genre masculin.
Enfin, il y a Jill, plus effacée, plus timide, qui accepte de tomber dans le crime pour une noble cause : faire soigner son petit-fils atteint d’une maladie dégénérative.
Ladies gang
Voilà donc le gang de filles au complet, soudé par un objectif commun : braquer la banque où Susan et son mari avaient jusqu’alors une image respectable de couple prospère aux comptes honnêtes. Mais le discret mari, comptable de son vivant, s’avère être un mort criblé de dettes et escroc aux entournures. Et la situation financière de Susan à la mort de cet époux inattendu n’attendrit pas le banquier qui lui refuse maintenant tout crédit. Il faut donc trouver une solution…
Le plan ? S’associer à un ancien soupirant de Julie, dit « Le clouté », braqueur de banque professionnel, équipé en armes et doté d’une longue expérience, et qui n’a qu’un seul défaut : perclus de douleurs, il se déplace à la vitesse d’une tortue, accompagné d’un appareil respiratoire encombrant…
N’oublions pas le dernier complice, Teddy, l’ex play boy amoureux de Susan dans leur jeunesse, qui a gardé vivaces toutes ses fonctions amoureuses et entreprenantes, et dont la grosse fortune aux origines louches lui fait disposer d’un yacht, fort utile pour une bande de vieilles dames en cavale…
Elégance et humour british
La réunion de ces personnages atypiques est pour l’auteur l’occasion de faire un focus réaliste sur ce qu’est véritablement la vieillesse dans nos sociétés : un âge, une condition physique, une image et un statut, soit ostensiblement niés et mimant la jeunesse perdue quand les conditions matérielles le permettent, soit mis au rebut dans une maison de retraite dégradante, soit miséreux et obligeant à cumuler les petits jobs quand on en a largement passé l’âge. Et pour tous, c’est l’occasion d’une prise de conscience : vérité crue et bilan, vrai regard sur ce qu’a été sa vie, avant d’entamer les dernières longueurs.
Mais au-delà de ce constat social et psychologique, l’auteur John Niven peint avec justesse l’amitié, l’affection partagée et l’absence de jugement entre amis. Romancier masculin, il réussit à décrire l’amitié entre femmes, évoquant avec justesse la tendresse, la complicité et la solidarité féminine, sans pour autant oublier les pointes de jalousie ou d’envie passagères. Dialogues savoureux, alternance de crudité et de naïveté dans le langage des old ladies, situations cocasses et descriptions sans compromis des ravages du temps emmènent le lecteur dans les pas de ces tatas flingueuses, auxquelles au fil des pages, il s’attache, sourire aux lèvres. Sans faux semblant ni aigreur, l’auteur évoque le rapport au corps, à la beauté, à la jeunesse et questionne l’air de rien la perte progressive de ce qui a été.
C’est cet « air de rien » qui fait la subtilité du roman : légèreté apparente et élégance toute britannique permettent ainsi de parler de choses graves, de la fin d’une phase d’existence, des désillusions et de l’apprentissage de cette nouvelle et ultime période de vie. La trame policière impulse un rythme soutenu, que l’on suit avec plaisir, souvent en riant, amusés par ces dames au grand cœur, touchés par la générosité et la bienveillance des personnages entre eux, notamment avec Vanessa, la jeune fille qu’elles prennent sous leur aile pendant le road trip en France.
Polar atypique
Evidemment, ce ne serait pas un polar, si il n’y avait la figure du policier nommé ici Boscombe : une sorte de Colombo, sale et toujours en retard derrière nos ladies qui ont décidemment une longueur d’avance. Cet homme, brut de coffrage, plein d’intuition mais sans tact, incapable de composer et pour qui l’usage de la diplomatie et du respect hiérarchique sont accessoires, nourrit en outre une haine franche pour la plupart des êtres humains… Mais sous sa ténacité à rattraper les braqueuses, se devine un zeste d’envie pour leur témérité. Pour mener à bien sa tâche, il est assisté d’un jeune inspecteur, Wesley, intelligent et discret, témoin des bourdes successives de son patron, qui essaie de le dissuader mais abandonne devant la faculté de son boss à se mettre dans les pires ennuis.
Ainsi ce couple de policiers incarne l’ombre qui poursuit nos vieilles dames, ombre dont on sent au fil du roman qu’elle ne sera jamais franchement menaçante, car fragile et peu dangereuse pour nos aventurières, qui, malgré leur peu d’expérience du crime organisé, sortent victorieuses de toutes les situations.
Cette quasi-certitude de happy end contrariera peut-être le lecteur qui chercherait dans Old School une enquête haletante et un polar traditionnel. Car au fond, le lecteur comprend dès le début que tout finira pour le mieux, que les héroïnes trouveront un nouvel équilibre après leurs vies déglinguées et partiront pour de nouveaux horizons. La dimension policière semble alors un prétexte pour observer notre façon de vivre et interroger notre attitude face à la vieillesse. John Niven compose un roman résolument optimiste, où la fiction apporte au lecteur qui se prête au jeu un moment de liberté et d’excentricité, comme un pied de nez aux contrariétés et aux ennuis. Avec générosité, Old School apporte la bonne humeur et le romanesque qui manquent parfois à la vie.
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