FANTASY — D’origine australienne, Kim Wilkins vit de sa passion pour l’écriture : elle publie en effet des romans depuis 1997, traduits dans pas moins de 17 langues, et donne des cours d’écriture à l’université du Queensland. Ses romans ont déjà été récompensés deux fois (en 1997 et en 2000) du prix Aurealis, qui couronne le meilleur roman fantastique australien. Et c’est justement de l’ouverture d’une saga de fantasy, Le Sang et l’Or, que l’on parle aujourd’hui.
Le Thyrsland va mal. Son roi, Aelthric, est dans le coma. Mais, pour l’instant, seuls ses plus proches conseillers et ses cinq filles sont au courant. Si ses ennemis venaient à l’apprendre, ce serait le chaos. Or, il semblerait que la maladie du roi n’ait rien de naturel mais, en revanche, tout de magique.
Bluebell, sa fille aînée, héritière du trône, chef des armées et guerrière prétendument invincible, décide alors de demander de l’aide à une magicienne vivant aux confins du royaume, entraînant ses quatre soeurs et leur père malade dans un périple qui est loin d’être tout repos. D’autant que chacune des sœurs dissimule un secret qui pourrait bien conduire le royaume à la ruine…
Voilà de la fantasy que l’on lit avec un plaisir intense ! Kim Wilkins n’a rien à envier aux grands du genre, G.R.R. Martin tant son premier tome du Sang et l’Or est bon !
Dès les premières pages, elle nous plante un décor assez rustique – même pour de la fantasy. Il faut imaginer des châteaux construits comme des corps de ferme, comprenant des cours, des bâtiments épars et des longères (séparées !) pour loger les différents membres d’une même famille, des portes équipées de ponts-levis et des membres de la famille royale connaissant gardes et petit personnel par leurs prénoms. A cela il faut ajouter des paysages vallonnés parsemés de fermes, exploitations agricoles et petites villes fortifiées repoussant des attaques de bandits que l’on devine aussi féroces qu’incessantes. Pourtant, dans ce décor somme toute agreste, font rage de féroces complots politiques.
En effet, le Thyrsland agit comme la tête de proue d’une petite fédération de royaumes qui cohabitent (plus ou moins pacifiquement) plus qu’ils ne forment une solide alliance. Aux querelles proprement territoriales, il faut ajouter un différend religieux : les païens (dont la famille du roi) se voient, peu à peu, gagnés par la prolifération de la religion trimartyre, qui reconnaît un dieu unique (Maava) et dénie aux femmes toute autre occupation que celle de la cuisine et de l’éducation des enfants – toute ressemblance avec la réalité serait, évidemment, purement et simplement fortuite. On comprend donc combien il est crucial qu’Aelthric soit rapidement débarrassé du mauvais sort qui l’accable et que le coupable soit rapidement démasqué ! Il en va non seulement de la sûreté nationale mais aussi, et sans aucun doute, de la paix générale.
Finalement, l’intrigue n’est pas tellement originale : le roi se meurt alors qu’il est encore jeune, il faut le sauver et débusquer le traître. On pourrait même se dire que tout cela est très banal. Ce qui rend le roman si prenant, c’est la façon dont Kim Wilkins amène les rebondissements et tisse son intrigue. Il est ô combien passionnant de suivre les cinq filles dans leurs pérégrinations – tant géographiques que familiales – chacune ayant son caractère, son histoire, ses spécificités. Bluebell est, en fait, le fils que le roi n’a jamais eu : c’est une dure à cuire qui n’a peur de rien ni de personne, qui manie l’épée comme pas deux, se bat sur le terrain avec ses hommes – dont elle est très proche – et préférerait vivre seule avec son cheval et ses deux chiennes que dans un gynécée. D’ailleurs, ses deux soeurs les plus jeunes la surnomment Téton d’Acier. Pourtant, Bluebell est aussi une humaine : si elle se lance à corps perdu dans cette quête, c’est qu’elle refuse l’idée que son père puisse mourir – jeune, de surcroît. Il ne faut pas y lire autre chose qu’un amour filiale extrêmement fort ! De même, sous des dehors d’indifférence, elle se soucie réellement du bien-être de ses soeurs, Ash en tête, Rose pas loin derrière. Celle-ci agacera sans aucun doute : toute à sa romance, elle ne voit pas en quoi son comportement met le royaume en péril. Mais, en même temps, comment en vouloir à une femme tiraillée entre son cœur et son devoir ?
Ash, quant à elle, est sans aucun doute l’autre figure de proue de ce roman – la première étant Bluebell. Envoyée au loin pour devenir conseillère en foi commune (sorte de mélange assez inédit entre prêtresse et rebouteux), elle s’inquiète de ce que ses pouvoirs magiques grandissent et deviennent incontrôlables. Or, elle a vu son avenir et sait que celui-ci ne lui réserve rien de bon : doit-elle, dans ce cas, mettre ses sœurs et sa famille en danger ou bien s’exiler pour leur sécurité ? Les dilemmes moraux sont nombreux et bien posés. Enfin, il y a les deux “petites dernières”, les jumelles Ivy et Willow, aussi dissemblables que possible. La première, frivole, souhaiterait mener une vie dissolue et de plaisirs, tandis que la seconde embrasse secrètement mais avec ferveur la foi trimartyre, au mépris des traditions familiales. Si elles sont moins proches de Bluebell que les précédentes, elles ne sont pas moins intéressantes.
Et leurs interactions sont passionnantes ! En effet, on sait ce à quoi pense et aspire chacune d’entre elles, ce qui rend leurs échanges (lourds de mensonges, non-dits et autres suppositions) prenants et plein de suspens. Les filles parviendront-elles à communiquer et, surtout, à trouver un terrain d’entente ?
Il faudrait également parler des opposants à Bluebell, nombreux et aux motivations diverses et variées. Il y a ceux qui voudraient la tuer, ceux qui aimeraient la voir déchoir, ceux qui veulent juste lui voler le trône (au choix parce que c’est une femme ou parce qu’elle les a vaincus dans le passé)… Dans ce contexte, la vie de Bluebell et, a fortiori, celles de ses sœurs et de leur père, est plus que menacée. De fait, le roman offre son lot de course-poursuites effrénées, complots, trahisons et autres combats épiques et échevelés jouant avec les nerfs du lecteur. Le rythme est tenu de bout en bout et on n’a vraiment pas le temps de s’ennuyer.
Enfin, il faut évoquer ce qui rend le roman si intéressant – et que vous avez sans doute perçu entre les lignes de cette chronique. L’auteur y parle merveilleusement de la place des femmes. Guerrière, épouse, amante, amoureuse, mère, dévouée à la foi, magicienne, traîtresse, stratège, tous les grands rôles – ou presque – sont tenus par des femmes à qui on demande – évidemment … – de prouver mille fois plus de choses que les hommes. Loin d’être de simples pions sur un échiquier royal (même s’il y a évidemment de ça), les femmes de Kim Wilkins prennent leur destin et leurs armes en main et n’hésitent pas à se lancer à corps perdu dans ce qu’elles pensent être juste. Et c’est bien ce qui fait le sel de cet excellent roman !
Voilà donc une série dont on attend impatiemment la suite, au vu de la qualité de ce premier tome à l’intrigue certes classique, mais menée avec intelligence !
Le Sang et l’Or, tome 1, Les Filles de l’orage, Kim Wilkins. Traduit de l’anglais par Nenad Savic. 15 juin 2016.
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