RÉCIT DE VOYAGE — De l’écrivain-voyageur, nous avions adoré à la dernière rentrée littéraire In utero, ce récit de voyage intérieur autour de la grossesse de la Femme et de sa future paternité à lui. Cette fois, Julien Blanc-Gras a rechaussé ses grolles et son sac à dos et embarqué à destination d’un continent non moins méconnu : l’Arctique.
À 4h25 de Paris et à 3h15 du Pôle Nord : le Groenland, sa banquise (en train de fondre), ses petits villages semi-traditionnels, ses pisiniarfik vendant aussi bien des revolvers que de la lingerie et ses autochtones. Pour découvrir tout cela, un voilier brise-glaces, l’Atka et quatre marins : trois loups de mer (respectivement le Capitaine, le Second et le Peintre, un autre baroudeur) et un marin d’eau douce (notre auteur, donc) qui distingue à grand-peine bâbord de tribord. Une semaine de cabotage à quatre à la découverte de l’Arctique.
Et quelle découverte ! Oubliez les ours faméliques que l’on vous vend, les Inuits pêchant à bord de kayaks en peau ou les autochtones ayant tous sombré dans l’alcool et la drogue apportés par la Civilisation. Comme le montre l’auteur, la modernité est bel et bien là : smartphones et autres écrans LCD sont partout et, si la connexion internet est parfois taquine, on y consomme (somme toute), comme partout ailleurs dans le monde. Chasse et pêche ? Oui, évidemment, mais plus à bord de bateaux à moteurs et au fusil à harpon automatique qu’à la lance ancestrale et à la pagaie. Le pays se découvre au contact de ses habitants, qui n’hésitent pas à partager café et gâteaux, voire coins de pêche – car, contrairement au Français avec ses coins à champignons, le Groenlandais est volontiers partageur de bons tuyaux.
Le réchauffement climatique ? Difficile, dans un pays qui n’est plus bloqué que 4 mois, au lieu des 8 habituels, par les glaces, de ne pas en parler. Mais ce n’est pas tellement un sujet d’inquiétude pour les habitants, qui y voient plutôt une opportunité ; les Groenlandais ont toujours su s’adapter et ils envisagent sereinement l’avenir. Ainsi, plutôt que de noircir le tableau, l’auteur nous incite à nous extasier devant les merveilles qu’offre la nature et à les protéger, plutôt qu’à pleurer déjà sur ce que l’on risque de perdre.
Ainsi, Julien Blanc-Gras nous dresse le portrait d’un Groenland nettement moins cliché que ce qu’en a retenu la mémoire sélective.
Jour après jour, il narre les rencontres enrichissantes que l’équipage fait avec les habitants et la splendeur glacée des paysages qui entourent le voilier – y compris lorsque la pauvreté du vocabulaire lui impose quelques limites.
Mais surtout, il le fait avec tant d’humour et de légèreté que l’on ne peut que passer un bon moment. Rien ne nous est épargné, des désillusions (le boeuf musqué n’en a que le nom, il s’agit d’une chèvre), aux incompréhensions avec les locaux (l’auteur ne pratique le Groenlandais qu’en étant fin cuit), en passant par la difficile adaptation à la vie à bord (son vocabulaire, ses rituels, ses espaces spartiates) et par la chasse au iceberg (tantôt à la perche, façon Don Quichotte, tantôt au lasso, façon Lucky Luke), c’est une expérience vécue à fond et avec plaisir que l’auteur retranscrit. Le récit de voyage s’équilibre parfaitement : au détour d’une description, l’auteur nous fait part des rencontres enrichissantes et empreintes d’humanisme qu’il fait, comme de ses découvertes ou de ce qui lui inspirent les événements.
Le récit est drolatique, oui, mais aussi très profond, ce qui fait que l’on peut passer du rire aux larmes, devant la poésie dont fait preuve Julien Blanc-Gras.
Briser la glace est un récit de voyage particulièrement prenant et dans lequel l’auteur a l’art d’associer bons mots et réflexions subtiles, le tout sur fond de voyage initiatique dans les splendeurs glacées d’une Arctique bien plus moderne qu’il n’y paraît. A ne manquer sous aucun prétexte !
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