POLAR — Après deux aventures hautes en couleur, Olivier Truc nous ramène vers la police des rennes, en compagnie de Klemet Nango et Nina Nansen. Mais, cette fois, la patrouille P9 a quitté les environs de Kautokeino pour se rapprocher de Stockholm.
La pluie continue épuise hommes et bêtes. Mais alors que les hommes du clan Balva procèdent à l’abattage annuel des rennes, l’un d’eux découvre des ossements humains dans l’enclos, au pied de la Montagne rouge. Or il se trouve que les éleveurs s’opposent à un groupement de fermiers et de forestiers dans un procès exceptionnel à la Cour de Stockholm dont l’enjeu est colossal. Le but est de déterminer qui, des forestiers (donc des Suédois) ou des éleveurs (donc des samis) étaient là les premiers. Car les rennes pâturent et transhument en traversant des terres qui n’appartiennent pas (ou plus) aux éleveurs. Aussi l’enjeu est-il déterminant pour tous les éleveurs du pays, eux-mêmes en butte aux mêmes problèmes : la résolution du conflit pourrait bien faire jurisprudence. S’il s’avérait que les ossements étaient samis et antérieurs au XIXe siècle (époque à laquelle le roman national Suédois fait apparaître les samis dans la région), les éleveurs gagneraient le procès. La patrouille P9 est donc chargée de l’affaire, mais l’identification du squelette – privé de crâne – est plus que difficile.
Commence alors une longue enquête auprès des musées et autres institutions, qui font redécouvrir à Klemet et Nina un XIXe siècle nauséabond, où l’on collectionne les types humains comme les scarabées, sous prétexte de faire « évoluer » la science. Entre guillemets car, finalement, les scientifiques du XIXe siècle cherchaient plutôt à prouver la suprématie de certains humains (les Suédois) sur les autres (les samis). Âmes sensibles et esprits ouverts s’abstenir, ou presque : l’aventure, si elle est paraît très lente, s’attarde tout du long sur les constitutions de collections de crâne et sur le racisme primaire qui règne encore en Laponie – et dans tant d’autres parties du monde.
Ces préoccupations connaissent une résonance très forte sur nos enquêteurs : si Nina semble surtout horrifiée de découvrir l’histoire de son pays, Klemet, lui, se trouve de plus en plus tiraillé entre sa double identité sami. Que penser de sa tente traditionnelle dans son jardin et de l’élan qui l’a poussé à adopter un faon, alors que sa famille a quitté l’élevage depuis des lustres ? Est-il flic, sami, les deux, rien du tout ? Ces interrogations forment un écho parfait à l’enquête en cours. Las, le bourbier dans lequel Klemet s’est enlisé tape plus que violemment sur les nerfs de Nina : la belle entente entre nos deux policiers fond donc comme neige au soleil…
Côté personnages, Olivier Truc fournit à nouveau une galerie haute en couleurs. Si on a quitté les éleveurs qui nous étaient familiers, c’est pour en découvrir d’autres, eux aussi aux prises avec des problèmes qui les dépassent. À côté des éleveurs, on a aussi des personnages appartenant à d’autres sphères : Bertil, l’antiquaire aussi croulant que ses marchandises ; Justina et ses copines, dont la vieillesse n’excuse pas toutes les excentricités ; les forestiers, dont certains aimeraient remettre au goût du jour les purifications ethniques ; les archéologues de tous bords, dont on ne sait pas toujours quel maître ils servent. D’un bout à l’autre, on nage en eaux troubles et il est vraiment difficile de déterminer qui se situe plutôt de quel bord. D’autant qu’outre le problème lié au squelette et au procès, chaque personnage semble être lié, de près ou de loin, à l’histoire suédoise et au passé que beaucoup tente d’enterrer. Ainsi, plus on avance, plus l’enquête autour du squelette semble devenir secondaire et le prétexte à détailler le passé suédois.
De plus, l’histoire est vraiment troublante car certains n’hésitent pas à employer la manière forte pour se débarrasser de l’ennemi, tandis que d’autres profitent au maximum de l’inertie administrative pour faire traîner les choses, ce qui laisse la désagréable – mais néanmoins réaliste – impression que tant les institutions que le gouvernement refusent de voir les choses en face et font tout pour oublier, et faire oublier, leurs douteux positionnements du passé.
Comme précédemment, le roman explore donc l’histoire sami et le moins que l’on puisse dire, c’est que le traitement réservé à cette minorité est plus que révoltant. Si le roman accorde une grande importance à l’histoire sami, l’enquête s’en ressent un peu : d’ailleurs, la fin, totalement ouverte, montre à quel point le conflit est inextricable et semble ne jamais devoir connaître de fin…
Avec La Montagne rouge, Olivier Truc signe un nouvel opus de sa série de polars nordiques, mettant en avant les irréductibles conflits qui agitent la Laponie, tout en faisant découvrir au lecteur des coutumes et traditions qui tentent, coûte que coûte, de perdurer malgré une mondialisation galopante.
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