Un roman entre Faulkner et Tarantino : Une mort qui en vaut la peine

Une mort qui en vaut la peine, Donald Ray Pollock

OHIO — Lorsque Donald Ray Pollock avait fait le déplacement en France à l’occasion de l’anniversaire de la collection « Terres d’Amérique » en mai dernier, j’avais décidé que je ne louperai pas la sortie de son prochain roman en France, tant j’avais trouvé l’intéressante l’histoire de cet auteur qui a travaillé pendant trente ans en usine avant d’oser se lancer dans l’écriture d’un roman – avec le succès que l’on sait ! Une mort qui en vaut la peine, sorti en cette fin d’année chez Albin Michel, est en effet un bon moyen d’appréhender le style Pollock : pour tout vous dire, à la lecture, on s’éclate !

Quelque part au fin fond des États-Unis, en 1917, trois frangins triment avec leur père pour la promesse de quelques poules. Leur quotidien ? C’est la misère, la crasse, la faim, le mépris. Alors qu’ils labourent, sarclent et arrachent, leur père les assure d’une chose : dans l’au-delà, ils seront récompensés, et à leur mort, ils iront prendre place au banquet céleste, où ils n’auront plus jamais faim. Sur ce, c’est le paternel qui claque, et voilà nos trois frères bien désemparés. Exaltés par la lecture d’un roman de gangsters médiocre, les trois frères Jewett décident de braquer une banque, et de partir mener grand train au Canada. Mais bien sûr, rien ne se passe comme prévu…

Inénarrables frères Jewett ! Avec ces frangins, Donald Ray Pollock dresse le portrait de trois personnages hauts en couleur, au potentiel comique incroyable, auquel il n’hésite pas à ajouter une légère dose de tragique juste comme il faut. La construction de ses personnages est indéniablement un des grands talents de Donald Ray Pollock, qui nous livre une galerie de protagonistes réussie de bout en bout, de l’indécrottable Jasper Cone, préposé aux installations sanitaires à l’odieux Pollard, le barman psychopathe, en passant par Sugar, plus opportuniste tu meurs… C’est bien simple, dans ce roman, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre, en dehors des époux Fiddler, qui sont probablement les plus humains du lot ! Dans Une mort qui en vaut la peine évolue l’humanité la plus crasse et la plus vicieuse qu’il soit donné d’imaginer, pour qui l’avidité, l’esprit de vengeance et la mesquinerie font office de règle de vie. C’est délicieusement grinçant, digne des romans les plus pessimistes de Faulkner, avec le côté pétaradant et parfois loufoque des films de Tarantino.

Donald Ray Pollock donne voix à ses nombreux personnages par le biais de courts chapitres redoutablement efficaces : si le lien avec les frères Jewett n’est pas évident de prime abord, il le devient par la suite, quand l’auteur ressert son intrigue… pour notre plus grand plaisir ! Pour ce qui est des frères Jewett, nous avons donc un frère intelligent, délicat et épris de littérature (Cane), un aimable simplet féru de bons petits plats (Cob) et un adolescent aux hormones en ébullition et à la gachette facile (Chimney). De manière étonnante, Donald Ray Pollock parvient assez aisément à les rendre sympathiques, malgré leur aspiration au crime… Leur relation fraternelle est probablement ce qu’il y a de plus lumineux au sein de ce roman par ailleurs très sombre, dans lequel on croise par ailleurs des meurtres, des scènes de torture et des viols, sur fond de guerre mondiale.

La perspective d’un conflit en Europe semble pourtant bien lointaine à tous ces personnages du fin fond de l’Ohio, bien en peine de situer l’Allemagne sur une carte, qui vivent toujours comme au XIXe siècle et rejettent en masse le progrès, qui commence, nous l’explique-t-on, par l’installation de toilettes modernes, et par la mise au rebut des chevaux au profit de l’automobile. Il y a un petit côté rétro aux braquages des Jewett qui, chapeau de cow-boys sur la tête, écument le pays à dos de chevaux comme au siècle passé. Pour espérer survivre, ils doivent pourtant changer de style, et embrasser de plein fouet la modernité, sous la forme d’une Ford T. Sera-ce suffisant pour leur permettre de commencer une nouvelle vie au Canada ? Nous vous laissons le découvrir !

Une mort qui en vaut la peine, Donald Ray Pollock. Albin Michel, 2016. Traduit de l’anglais par Bruno Boudard.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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