ROMAN ADO — En Young Adult, les chemins de la fiction sont globalement balisés : il est difficile de sortir des sentiers battus et, quand des créatures fantastiques tiennent le haut de l’affiche, ce sont bien souvent toujours les mêmes. Mais Michael Buckley a décidé de jouer la carte de l’originalité, avec un roman très maîtrisé, qui surfe sur la vague du YA mais s’affranchit des codes du genre : La Déferlante.
Lyric vit depuis toujours à Brooklyn, dans le très célèbre quartier de Coney Island. Si, si, je vous assure, vous connaissez : la plage, les montagnes russes, Nathan’s… On vous en a parlé ici même, sur Café Powell. Mais le Coney Island de Lyric n’a rien à voir avec celui que l’on peut visiter actuellement à New York. Sur la plage, face à l’Atlantique, des milliers de réfugiés campent, en attendant de voir ce que l’Humanité va faire d’eux. Ces réfugiés, on les appelle des « Alphas ». Ils ont surgi de la mer, mi-hommes, mi-créatures aquatiques. Les habitants du quartier ont réagi avec violence à ce qu’ils considèrent être une invasion. L’atmosphère est tendue au possible. La tension monte d’ailleurs d’un cran quand les autorités décident d’intégrer des Alphas au lycée de Lyric.
Vous vous souvenez comment le Vieux Sud avait réagi quand, dans les années 60, le gouvernement américain a décidé de mettre fin à la ségrégation dans les écoles ? Des insultes, de la violence, du racisme ambiant ? De cette petite fille, Ruby Bridges, immortalisée par Norman Rockwell quand, escortée par des policiers, elle s’est rendue pour la première fois dans une école mixte ? Le début de La Déferlante rappelle cette ambiance détestable : alors que les gens manifestent contre l’intégration des Alphas, certains appellent à la violence, montent des groupes armés et haranguent les foules. Le racisme est omniprésent. Lyric, fille de policier, observe tout cela avec écoeurement. Elle cherche à faire profil bas, car elle cache un secret… Mais le nouveau proviseur ne va pas la laisser se fondre dans le décor : il lui confie une mission diplomatique, sympathiser avec le prince des Alphas. Plus facile à dire qu’à faire !
Pourquoi dit-on de La Déferlante que c’est original ? Ici, pas de vampire ou de loup-garou : Michael Buckley a choisi d’utiliser des tritons, des sirènes, des selkies, et toutes sortes de créatures aquatiques au code de l’honneur bien particulier. Ce code de l’honneur violent, qui prône le combat et qui fait couler le sang en cas d’affront empêche le héros, Fathom, d’être trop plat, trop parfait. Certes, il est parfois charmant, mais c’est aussi un garçon dangereux, qui n’hésite pas à blesser, voire à mutiler pour se défendre. En proie à des crises de colère homériques, mais aussi franchement puériles, vaguement hautain, il a du relief ! C’est déjà un changement agréable en soi. Michael Buckley donne également à notre héroïne un noyau familial soudé, quand les héros de Young Adult sont souvent esseulés. On appréciera la droiture du papa de Lyric, la bienveillance de sa mère. On saluera aussi la présence de deux copains franchement sympathiques, Bex et Shadow.
Michael Buckley excelle à la construction d’une atmosphère, il parvient à rendre admirablement l’ambiance du quartier de Lyric, la violence latente, la méfiance, la peur, la haine. Il a su également mettre en scène des personnages efficaces, avec quelques très bons seconds rôles (comme ce fameux proviseur que nous évoquions plus haut).Tout ceci, couplé à l’originalité de la mythologie mise en place, et à un appel pour plus de tolérance, contribue à la naissance d’une nouvelle série YA vraiment réussie, que nous avons dévoré en quelques heures de lecture. On est pris par l’intrigue dès les premières lignes, grâce à la narration efficace de Lyric. Si la fin est peut-être un peu brusque et précipitée, nous avons hâte de savoir ce qu’il arrive à Lyric et Fathom dans la suite de leurs aventures.
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