Coup de coeur pour Station Eleven !

Station Eleven, Emily St. John Mandel, Rivages

POST-APOCALYPTIQUE — Voilà, tout simplement, un roman virtuose, qui vous prend dans ses filets dès les premières lignes, et ne vous lâche pas jusqu’à la fin. Station Eleven a été un énorme succès au Canada, comme à l’étranger : difficile de ne pas comprendre pourquoi quand on se plonge enfin dans ce roman qui a fait l’événement à la dernière rentrée littéraire.

Si on devait définir Station Eleven, on dirait probablement sobrement qu’il s’agit d’un roman post-apocalyptique relativement réaliste : ici, nuls zombies ou monstres mutants, juste des humains qui tentent de survivre après un cataclysme mondial. Tout a commencé quelque part en Russie : quelques personnes ont commencé à tousser, à s’effondrer sous l’effet de la fièvre. La maladie est foudroyante, touche une personne en quelques heures, la tue à une vitesse record. La mondialisation a fait le reste : bientôt, tous les continents sont touchés, les humains tombent comme des mouches, les gouvernements s’effondrent, la civilisation disparaît.

Vingt ans après la pandémie, une troupe d’artistes sillonne le Canada et le nord des États-Unis pour jouer Shakespeare en musique. Quand la civilisation n’est plus, que reste-il ? L’art, nous répond Emily St. John Mandel. La musique, le théâtre, la littérature. L’art, avec un grand A !

Station Eleven, Emily St. John Mandel, Rivages

Magnifique roman extrêmement nostalgique, Station Eleven alterne avec bonheur les points de vue et les époques, nous montrant tour à tour la vie en l’an 20, la période qui a précédé la fin du monde moderne, ou les prémices du chaos. Le lecteur reconstitue peu à peu le puzzle et découvre un quotidien dans lequel il n’y a plus ni électricité, ni pétrole, ni Internet, ni système étatique. Le récit se pare alors d’accents nostalgiques, alors que se dessine un monde qui vit encore dans l’influence d’un passé désormais lointain : tout ce que nous tenons pour acquis (la lumière lorsque l’on appuie sur un simple interrupteur, l’eau courante, la médecine moderne) est en réalité très précaire, très facile. C’est une ode à un monde éteint, un monde disparu, qui a déjà presque basculé dans la légende. Emily St. John Mandel donne l’impression que toutes ces choses qui nous semblent évidentes peuvent nous être arrachées très simplement. Cela fait froid dans le dos, d’autant que, profondément immergé dans notre lecture, on se déconnecte totalement du monde moderne. Le constat est presque douloureux.

Station Eleven est un récit maîtrisé de bout en bout. L’intrigue est menée d’une main de maître, et le style est à l’avenant : sobre et élégant, avec des accents tragiques indéniables. Les personnages que nous croisons au fil du récit sont extrêmement bien construits : la multiplicité des points de vue permet au lecteur d’observer plusieurs facettes des protagonistes principaux. Au centre du récit rayonne ainsi Arthur Leander, un acteur qui s’écroule sur scène en pleine représentation shakespearienne, alors que la pandémie prend son essor. Techniquement mort pendant la majeure partie de la ligne temporelle du roman, sa présence hante pourtant les pages. Il est le lien entre tous les personnages du roman.

Ne passez pas à côté de cette petite perle, qui donne au post-apocalyptique ses lettres de noblesse !

Station Eleven, Emily St. John Mandel. Rivages, 2016. Traduit de l’anglais par Gérard de Chergé.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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